Dans l’ordre

Du caractère, Martín García García n’en manque pas, ni de panache d’ailleurs. Son Chopin extraverti sera en première écoute assez formidable, avec ses traits emportés, sa grande sonorité un peu claironnante, ses élans où semble passer le souvenir du jeune Kissin. Mais la réécoute ne lui sera pas si généreuse, il sacrifie trop le génie révolutionnaire de Chopin sur l’autel de l’effet, un peu trop d’esbroufe gratuite (la Polonaise), des maniérismes en place de lyrisme, une tentation narcissique à s’écouter (Largo de la Sonate), empêchent de le placer comme un interprète naturel du compositeur de la Fantaisie ; d’ailleurs, il se garde bien d’aborder les pièces les plus allusives, et ne donne guère d’arrière-plans aux deux Ballades. Reste l’effusion du geste, un vrai charisme qui emporte le Concerto, Op. 21.

Contraste, dès la première note du Nocturne en si majeur, tout le monde secret de Chopin s’offre dans le piano ombreux de Kyohei Sorita, affaire de sonorité, profonde, ourlée, voluptueuse jusque dans l’héroïsme (la Ballade en fa majeur), affaire de qualité d’un jeu toujours sensible aux polyphonies, affaire de style jusque dans un usage savant et diablement efficace du rubato, et simplement de moyens : virtuose accompli, regardé depuis quelques années déjà dans son Japon natal comme un pianiste majeur de sa génération, il foulait à nouveau la scène du Concours Chopin qu’il avait étrenné pour la première fois en culottes courtes : on était en 2005.

Depuis l’enfant s’est fait homme, et il faut entendre la rage noire avec laquelle il empoigne la tempête du Scherzo en si bémol mineur. Fabuleux ! Le brio ne lui fait pas peur, et surtout il ne le fait pas vide ; sa Valse en fa majeur est subtilement tangente, son Rondo à la Mazur plus que délicieux (même si pas aussi parfaitement réglé que celui du vainqueur du Concours, Bruce Liu), et son Concerto, Op. 11 montre une fantaisie, une imagination pour les couleurs comme pour les phrasés, et comme il piaffe le Rondo !

Incroyable qu’il n’ait pu être que second (et second avec Gadjiev), alors que ce pianiste fabuleux aurait mérité, si cela est possible au regard des statuts du Concours, de partager la Palme suprême avec Bruce Liu. Ceux qui connaissent ses disques Denon ne seront pas surpris ; pour les autres, il y aura révélation.

LE DISQUE DU JOUR

Frédéric Chopin (1810-1849)
Étude en la mineur, Op. 25
No. 4

Étude en ut dièse mineur,
Op. 10 No. 4

Nocturne en mi bémol majeur, Op. 55 No. 2
Ballade No. 1 en sol mineur, Op. 23
Valse en la bémol majeur,
Op. 34 No. 1

Ballade No. 3 en la bémol majeur, Op. 47
Impromptu No. 3 en sol bémol majeur, Op. 51
Scherzo No. 2 en si bémol mineur, Op. 31
Polonaise en la bémol majeur, Op. 53 « Héroïque »
24 Préludes, Op. 28 (3 extraits : No. 17 en la bémol majeur ; No. 19 en mi bémol majeur ; No. 23 en fa majeur)
Sonate No. 3 en si mineur, Op. 58
3 Mazurkas, Op. 50
Prélude en ut dièse mineur, Op. 45
Valse en fa majeur, Op. 34 No. 3
Concerto pour piano et orchestre No. 2 en fa mineur, Op. 21

Martín García García, piano
Orchestre Philharmonique de Varsovie
Andrey Boreyko, direction
Enregistré durant les épreuves du Concours Chopin de l’édition 2021
Un album de 2 CD du label de l’Institut Chopin de Varsovie NIFCD 645-646
Acheter l’album sur le site du label de l’Institut Chopin de Varsovie, sur le site www.ledisquaire.com, ou sur Amazon.fr

Frédéric Chopin (1810-1849)
Nocturne en si majeur,
Op. 62 No. 1

Étude en ut majeur,
Op. 10 No. 1

Étude en si mineur,
Op. 25 No. 10

Scherzo No. 2 en si bémol mineur, Op. 31
Valse en fa majeur,
Op. 34 No. 3

Rondo à la mazur en fa majeur, Op. 5
Ballade No. 2 en fa majeur, Op. 38
Andante spianato et Grande Polonaise brillante, Op. 22
3 Mazurkas, Op. 56
Sonate No. 2 en si bémol mineur, Op. 35
Largo en mi bémol majeur, B. 109
Polonaise en la bémol majeur, Op. 53 « Héroïque »
Concerto pour piano et orchestre No. 1 en mi mineur, Op. 11

Kyohei Sorita, piano
Orchestre Philharmonique de Varsovie
Andrey Boreyko, direction
Enregistré durant les épreuves du Concours Chopin de l’édition 2021
Un album de 2 CD du label de l’Institut Chopin de Varsovie NIFCD 643-644
Acheter l’album sur le site du label de l’Institut Chopin de Varsovie, sur le site www.ledisquaire.com, ou sur Amazon.fr

Photo à la une : le pianiste Kyohei Sorita – Photo : © DR