L’âme d’un géant

On l’oublie trop, tout grand brucknérien devant l’éternel qu’il fut, Hans Knappertsbusch était d’abord un chef de fosse, ce qui était la règle dans sa génération, mais qui confina chez lui à une dilection particulière. Même si ses années de service à Mulheim, Bochum, Elberfeld, Leipzig ou Dessau l’auront conforté dans cet art, l’apostolat lui viendra par Wagner et de Bayreuth qu’il commence à fréquenter jeune homme avant d’être assistant de ses aînés, et aussi répétiteur auprès des chanteurs.

On sait la suite, son omniprésence paradoxale au long de la première décennie du Neues Bayreuth, et la série d’enregistrements en direct qui en découlèrent, Ring(s), Vaisseau fantôme, Parsifal surtout qu’il dirigeait non comme un office mais tel un conte noir, faisant son orchestre vénéneux, refusant l’allégement que Krauss puis Boulez imposeront, plus messianiques à leur façon : les mystiques ne sont pas toujours ceux que l’on croit.

Le Parsifal de 1951 est resté tout en haut de la discographie, avec la Kundry blessée de Martha Mödl qui pour Knappertsbusch raffinait ses visions et ses cris, il est historique par elle, elle y suffirait mais tout le reste est absolument transcendant malgré la prise de son maigre : clefs de fa insensées, Uhde, London pour son premier Amfortas, Weber, Van Mill, et parmi eux le Parsifal héroïque, un quasi Siegfried, de Windgassen.

Onze ans plus tard, le conte reste toujours aussi noir, et London toujours Amfortas, témoin d’un changement de style vocal qui affiche un plateau désuni, entre la Kundry stylisée (et admirable) d’Irene Dalis et le Klingsor expressionniste de Gustav Neidlinger, mais les quelques mots de sépulcre du Titurel de Talvela, la spiritualité de Jess Thomas

Le reste est moins repéré, les Meistersinger absolument divins et sans façon, le Fidelio, régulièrement assassiné par la presse, surprenant souvent en bien, il faut entendre Jurinac relever le défi du tempo !, les récitals où il invite l’urgence de la scène pour Flagstad ou London, saisissants.

Venues de la Tonhalle de Zürich, deux magiques respirations de sa Marschallin, Maria Reining (avec un Octavian non crédité, mais je crois bien que c’est elle qui se répond), aux prémices de l’automne de sa voix, me tirent les larmes, allez savoir pourquoi …

LE DISQUE DU JOUR

Hans Knappertsbusch
The Opera Edition
Decca • Philips • Westminster Recordings

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Fidelio, Op. 72
Richard Wagner (1813-1883)
Tristan und Isolde, WWV 90 (extraits)
Die Walküre, WWV 86b (Acte I)
Die Meistersinger von Nürnberg, WWV 96
Parsifal, WWV 111 (enr. Bayreuth, 1951)
Parsifal, WWV 111 (enr. Bayreuth, 1962)
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3 récitals :
Kirsten Flagstad sings Wagner
George London sings Wagner
Maria Reining & Paul Schöffler sing Strauss (Der Rosenkavalier) & Wagner (Tannhäuser, Meistersinger)

Un coffret de 19 CD du label Decca 4841800 (Collection « Eloquence Australia »)
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Photo à la une : le chef d’orchestre Hans Knappertsbusch – Photo : © Decca