Un seul exemple : la Marche écossaise, partition tenue pour mineure, alors que Debussy la révisa en 1908. Tous l’auront dirigé une peu massif, Hans Rosbaud au contraire se régale de ses édens harmoniques, de son orchestre fouillé, où les couleurs abondent, où l’harmonie se diapre, indiquant clairement que son thème obstiné aura passé par l’art coloriste de La Mer. Il n’y a plus qu’à mettre le piment des rythmes et des accents, à faire chanter très en dehors le cor anglais et la flûte de la section centrale qui sonne soudain plus cévenole qu’écossaise. Un miracle de clarté et de plénitude auquel même Pierre Boulez, pourtant à bonne école auprès d’Hans Rosbaud, n’est pas parvenu.
La liberté des tempos dans la rigueur du flot musical est certainement l’un des secrets de son art, comme le prouve son Alborada où la battue si exacte permet de saisir chaque détail de l’écriture au cordeau mise en place par Ravel : soudain l’original pour piano s’y entend à travers l’orchestre.
Analytique ? Jamais, la profusion des timbres exalte la sensualité dans Jeux, transporte la Suite en fa des Flandres aux Indes, fait entendre les fascinantes ambigüités harmoniques de l’Andante du Concert pour petit orchestre comme jamais, et emporte avec ivresse une Troisième Symphonie d’anthologie : les Roussel sont la part majeure de cette édition qui révèlent autant d’inédits au disque, jusqu’à l’enregistrement à quelques jours de la création de Chronocromie de Messiaen.
Des raretés, fabuleuse lecture de L’Homme et son désir de Milhaud, du Chevalier errant d’Ibert, la curiosité des trois minutes composée par Maurice Jarre dans le cadre d’un hommage irrévérencieux à Mozart, et un coup de génie, une Symphonie « Liturgique » amère, avec au Finale cette flûte, rossignol perdu dans les cendres d’une apocalypse comme le voulait Honegger.
Ensemble génial, treizième volume d’une édition au long cours loin d’être tarie : Stravinski, Bartók, les Modernes italiens, la Seconde École de Vienne, les contemporains attendent patiemment leur tour, tout comme les opéras.
LE DISQUE DU JOUR
Hans Rosbaud conducts French Music
CD 1
Claude Debussy (1862-1918)
Prélude à l’après-midi d’un faune, L. 86
3 Nocturnes, L. 91 (2 extraits :
I. Nuages, II. Fêtes)
Marche écossaise sur un thème populaire, L. 77
Berceuse héroïque, L. 132
Jeux, L. 126
La Mer, L. 109
CD 2
Maurice Ravel (1875-1937)
Alborada del gracioso, M. 43/4
Ma mère l’Oye, M. 60 – Suite pour orchestre
Albert Roussel (1869-1937)
Concert pour petit orchestre, Op. 34, L. 41
Suite en fa majeur, Op. 33, L. 39
Symphonie No. 3 en sol mineur, Op. 42, L. 53
CD 3
Jacques Ibert (1890–1962)
Le Chevalier errant – Suite symphonique
Darius Milhaud (1892–1974)
L’Homme et son désir, Op. 48 – Ballet d’après Paul Claudel
(version instrumentale)
Maurice Jarre (1924–2009)
Concertino pour percussion et cordes (No. 11 extrait de l’œuvre collective
« Divertimento pour Mozart – 12 Aspects de l’Aria “Ein Männchen oder Weibchen wünscht Papageno sich” »)
Olivier Messiaen (1908–1992)
Chronochromie
CD 4
Arthur Honegger (1892–1955)
Symphonie No. 3 « Liturgique »
Marcel Mihalovici (1898–1985)
Symphonie No. 2 pour orchestre à cordes, Op. 66 « Sinfonia Partita »
Toccata pour piano et orchestre, Op. 44*
*Monique Haas, piano
Südwestfunk-Orchester Baden-Baden
Hans Rosbaud, direction
Un coffret de 4 CD du label SWR Classic SWR1911115CD
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Photo à la une : le chef d’orchestre Hans Rosbaud – Photo : © DR