Découvrant la Sonate de Bridge sur les conseils de Benjamin Britten, qui fut plus que l’élève de l’auteur d’Oration, son protégé et quasi son fils spirituel, Mstislav Rostropovitch n’eut de cesse de l’enregistrer. Britten, l’accompagnant au piano dans les studios de Decca, proposa un couplage qui pouvait surprendre : l’Arpeggione de Schubert, manière de prolonger d’une façon plus solaire un disque assombri par le grand cahier de Bridge, où, contrastant avec des épisodes panthéistes, peut se lire un requiem intime : l’œuvre fut composée durant la Grande Guerre, de 1913 à 1917, et donc achevée avant la fin du conflit.

Truls Mørk l’entend bien ainsi, de son violoncelle qui n’est que chant, l’assombrissant dans ses pages les plus tourmentées, la dorant d’une spiritualité de prière dans les moments panthéistes : l’Adagio touche au sublime, l’archet murmurant des extases dans les lacis d’un piano fabuleux de timbres.

Quel instrument touche donc Håvard Gimse ? Dommage, le livret ne le précise pas, mais j’ai le sentiment d’un piano ancien, divinement accordé à la grande caisse que joue Truls Mørk, qui n’est autre que le Montagnana d’Heinrich Schiff. Pour une œuvre qui n’est que chant, c’est merveille, Truls Mørk lui gardant son caractère de baryton noble au long d’une Sonate de Debussy uniment lyrique, d’un archet plein qu’on n’a pas l’habitude d’y entendre. Le rapprochement avec l’œuvre de Bridge se fait par l’identité tonale, l’armature des deux partitions indiquant la même tonalité de ré mineur.

Pour Pohádka, merveilleux tryptique aux saveurs moraves, les deux amis se font conteurs, et le Schumann des Fantasiestücke et autres Märchenbilder semblent s’y évoquer parfois : elles auraient été bienvenues pour parachever cet album magnifique, mais Truls Mørk et Håvard Gimse préfèrent refermer la boucle avec la Sonate épisodique de Britten, écrite pour Rostropovitch, dont ils exacerbent les contrastes et magnifient les écritures savantes et aventureuses.

Disque parfait, indispensable, à classer à Bridge.

LE DISQUE DU JOUR

Frank Bridge (1879-1941)
Cello Sonata, H. 125
Claude Debussy (1862-1918)
Sonate pour violoncelle et piano, L. 144
Leoš Janáček (1854-1928)
Pohádka, JW 7/5
Benjamin Britten (1913-1976)
Cello Sonata, Op. 65

Truls Mørk, violoncelle
Håvard Gimse, piano

Un album du label Alpha Classics 560
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Photo à la une : le violoncelliste Truls Mørk – Photo : © Johs Boe