Redoutables les œuvres d’orchestre d’Alexandre Scriabine ! Certains tombent dans le piège d’une lecture analytique, voulant en faire entendre à force de soulignement d’abord la modernité, d’autres surchargent l’affect, engonçant l’immense phalange dans le post-romantisme.

Lan Shui et son Orchestre Symphonique de Singapour, dont j’ai tant goûté les albums Debussy, élèvent le débat, et enflamment le propos ; ils se délectent des sensualités lascives pour mieux faire soudain éclater les volcans. Tout cela est d’un contrôle vertigineux et d’un raffinement sonore qui renvoient les lectures russes, même la démiurgie de Nikolai Golovanov, au rang des spectacles de grand guignol.

Partout l’harmonie tristanesque berce les pianissimos avant qu’une folie ne saisissent le discours, exaltant la fin du Poème de l’Extase comme jamais, transfigurant les élans cosmiques de Prométhée, rendant justice au mysticisme irrépressible qui enflamme cette musique sans équivalent, véritable ovni jusque dans le giocoso du petit échange de pépiement d’oiseau entre la flûte et le piano avant la coda, jamais entendu ainsi.

Le pianiste n’est autre que Yevgeny Sudbin, lancé avec les mêmes dans une intégrale des Concertos de Rachmaninov toujours en cours. Il touche au génie dans Prométhée, mais il faut aussi l’entendre brûler son clavier tout en marteaux et en fer pour l’envol d’une 5e Sonate comme tout juste sortie de la forge.

Génial album totalement inattendu et enregistré avec un réalisme saisissant.

LE DISQUE DU JOUR

Alexandre Scriabine (1872-1915)
Le Poème de l’Extase, Op. 54
Sonate pour piano No. 5,
Op. 53
Prométhée, ou le Poème du Feu, Op. 60

Yevgeny Sudbin, piano
Chœur & Orchestre Symphonique de Singapour
Lan Shui, direction

Un album du label BIS Records 2362
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Photo à la une : le chef d’orchestre Lan Shui – Photo : © DR