Spiritualité

« Pater mi, Pater mi, si voviste votum Domino » supplie la fille de Jephté à l’adresse de son père. La voix est comme perdue dans un monde d’ombres et la réponse de son père sera quasi orphique. La fille, c’est Jennifer Smith, son père, Philippe Huttenlocher. Nous sommes à l’Igreja da Graça de Lisbonne, on ne sait trop quand en 1972 ; comme souvent pour le matériel sonore d’Erato la documentation soit manque soit est incomplète, mais les bandes ont heureusement survécu.

Qui alors osait se pencher sur les Histoires sacrées de Carissimi ? De l’autre côté du Rideau de fer, une vaillante équipe tchèque s’y employait, Jonas avait attitré l’attention de Louis Halsey, aiguillonné par la prêtresse de L’Oiseau-Lyre, mais pour l’Historia di Jephte, chef-d’œuvre de la série, je crois bien que Michel Corboz fut le premier, ouvrant la voix à Van Nevel, Gardiner ou McCreesh, tous dotés d’un chœur plus parfait, mais disant certainement moins pour l’émotion que les voix portugaises.

Les années lisboètes furent sans doute l’âge d’or de Michel Corboz, il était absolument libre d’explorer les répertoires romains ou vénitiens, poursuivant au-delà du voyage monteverdien (et même ante Monteverdi avec les deux fameux LP des « Dolci frutti ») entrepris au bord du Lac Léman, Selva morale, Orfeo in-surpassé où brille la poésie héroïque et tendre du jeune Eric Tappy, faisant ensuite résonner les Sinfonia sacrae de Gabrieli, mais aussi la roide Messe pour les Trépassés de Charpentier. Ce saisissement du Grand Siècle fut toujours l’un des sujets de son art, du De Profundis de De Lalande au David et Jonathas de Charpentier, il savait y mettre ce ton sombre mais passionné, cette lumière dans le recueillement qu’on ne peut nommer autrement que spiritualité.

Ses Bach ardents, fusants, inondés d’une énergie céleste, en témoigneront, du Magnificat de 1971, à la troisième Messe en si de 1996, avec au sommet une Saint Matthieu qui n’est plus qu’émotions et dont les voix, aussi glorieuses fussent-elles (Marshall, Watkinson, Equiluz, Rolfe-Johnson, l’indispensable Philippe Huttenlocher qui faisait de tout chant parole), épousaient l’élan de l’ensemble.

Autres sommets, les Psaumes ardents de Benedetto Marcello, puis les jardins et les guerres successifs des Madrigaux de Monteverdi, patiemment engrangés, où l’on suivra comme son ombre Jennifer Smith toujours (son Lamento della Ninfa, moment d’éternité).

Mais tout dans cette boîte, venue enfin !, et présentée par un texte parfait signé Jean-Philippe Grosperrin, doit être à nouveau savouré, la musique sacrée de Vivaldi comprise, en attendant le second volume de ce legs, du Romantisme au XXe siècle, que l’éditeur nous promet pour bientôt.

LE DISQUE DU JOUR

Michel Corboz
The Complete Erato Recordings, Vol. 1 :
Baroque and Renaissance Eras

Œuvres de J. C. Bach, J. S. Bach, Carissimi, Cavalli, Charpentier, De Lalande, Gabrieli, Goudimel, Haendel, Ingegneri, Marcello, Monteverdi, Purcell, A. Scarlatti, Vivaldi, etc.

Ensemble Vocal & Instrumental de Lausanne
Orchestre de Chambre de Lausanne
La Chanson de Lausanne

Chœur du Théâtre Municipal de Lausanne
Orchestre & Chœur de Chambre, Chœur Symphonique & Chœur de la Fondation Gulbenkian de Lisbonne

Michel Corboz, direction

Un coffret de 74 CD du label Erato 0190296217463
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Photo à la une : le chef d’orchestre Michel Corboz, au début des années 1970 – Photo : © DR