Rien de plus difficile au fond que le piano de Schubert. Claudio Arrau le savait plus que quiconque, y revenant au disque tard, et dans une abstraction du son, dans une nudité du propos, et avec au creux de l’abîme ces instants de tendresse, d’ingénuité, qui vous serrent le cœur. Artur Schnabel, Friedrich Wührer l’y auront précédé, Alfred Brendel ajoutant des paysages et quasiment des voyages, inspirant bien des pianistes et même le jeune András Schiff.
William Youn regarde ailleurs, sonorité secrète, chant intime jusque dans les sonates les plus escarpées, timbres magiques avec une patine que lui offre un splendide Bechstein, et tout un imaginaire d’oiseau sirine, de conte noir et doré, avec dans la matière même du son une dimension onirique.
Son Dieu ici serait-il Wilhelm Kempff ? Le Moderato de la Sonate D. 894, avec sa valse toujours renoncée, répond oui, jusque dans le modelé des accords, le mystère du chant, et le trille comme venu d’un autre monde de la D. 960 au « bout » du voyage le confirme : William Youn, c’est la poésie même, et simplement l’essence de Schubert.
Qu’on ne croit pas les abîmes des D. 958 et D. 959 adoucis par un regard si intime, ou la conduction si fluctuante de la Sonate « Fantaisie » affadie, tout y est, mais soupesé et dit par un poète, un chanteur autant qu’un pianiste, qui colore les émotions jusque dans le cœur des tempêtes, Sturm und Drang absolument, mais Leiermann surtout, conteur jusque dans le plus subtil des non-dits.
Tant de science pianistique, tant de capacité à disparaître dans les notes, voilà ce qu’interpréter veut dire, et chez Schubert, à ce degré d’évidence, ce sera trop peu trouvé : Haskil, Kempff sont ici non pas comme des fantômes, mais comme des amis, guidant le jeune homme dans ce paradis, et nous y menant avec lui.
LE DISQUE DU JOUR
Franz Schubert (1797-1828)
Piano Sonatas,
Vol. I
Sonate No. 21 en si bémol majeur, D. 960
Sonate No. 1 en mi majeur,
D. 157
Sonate No. 13 en la majeur,
D. 664
Sonate No. 9 en fa dièse mineur, D. 571 (extrait : Allegro moderato – Fragment)
Andante en la majeur, D. 604
Scherzo en ré majeur, D. 570 (Allegro vivace – Trio)
Sonate No. 14 en la mineur, D. 784
William Youn, piano
Un album de 2 CD du label Sony Classical 194397841428
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Franz Schubert
Piano Sonatas,
Vol. II
Sonate No. 4 en la mineur,
D. 537, Op. posth. 164
Adagio en mi majeur, D. 612
Sonate No. 20 en la majeur,
D. 959
Sonate No. 18 en sol majeur, D. 894, Op. 78
Sonate No. 19 en ut mineur, D. 958
William Youn, piano
Un album de 2 CD du label Sony Classical 194399162620
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Franz Schubert
Piano Sonatas, Vol. III
Sonate No. 16 en la mineur,
D. 845
Sonate No. 8 en mi bémol majeur, D. 568
Sonate No. 6 en mi mineur,
D. 566
Sonate No. 17 en ré majeur,
D. 850
Sonate No. 10 en si majeur, D. 575
Adagio en ré bémol majeur, D. 505
Sonate No. 11 en fa mineur, D. 625
Sonate No. 2 en ut majeur, D. 279
Sonate No. 3 en mi majeur, D. 459
Sonate No. 5 en la bémol majeur, D. 557
Sonate No. 15 en ut majeur, D. 840
William Youn, piano
Un album de 3 CD du label Sony Classical 196587106027
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Photo à la une : le pianiste William Youn – Photo : © Irene Zandel