Cette ardeur, ces mains qui se précipitent, dévorant les portées les plus orageuses coulées de la plume de Schubert, quel saisissement !
Aurelia Vișovan n’a pas froid aux yeux, exaltant les fureurs visionnaires de cet Allegro homérique qui ouvre la grande Sonate en ut mineur, elle sera tout aussi étonnante dans la ronde infernale du Finale qu’elle implose de foucades. Grande version, qui vaut aussi par l’instrument, un vaste pianoforte sorti des ateliers de Robert Brown en 2015, qui a copié un instrument du facteur viennois Jakob Bertsche. Son ampleur, ses dynamiques, sa una corda magiques sont une révélation supplémentaire dans un disque qui n’en manque pas.
La Grande Sonate narrative de Czerny, vrai théâtre pianistique, est une œuvre inouïe qui éclate les structures formelles classiques : sept mouvements, avec au centre des variations sur un cantique de Bohème, entourées par deux Scherzos. Au point de vue strictement formel, l’œuvre est sans équivalent, sinon par la première mouture du Concert sans orchestre de Robert Schumann qui connaissait bien l’œuvre de Czerny, et plus son côté sonate que son côté étude. Elle ne cesse de stupéfier, comme dans cette tarentelle insensée qui embrase le Capriccio appassionato.
En écoutant la furia qu’y déclenche Aurelia Vișovan, je me prends à penser que Czerny est bien le chaînon manquant de la grande littérature pianistique viennoise, entre Beethoven et Schubert, mais aussi un génie du syncrétisme stylistique, car son piano entend également les apports poétiques si novateurs des compositeurs bohémiens, Voříšek, Tomášek, Dussek.
Disque formidable, il semble qu’Aurelia Vișovan en ait enregistré un autre, je vais le chercher de ce pas.
LE DISQUE DU JOUR
Capriccio appassionato
Franz Schubert (1797-1828)
Sonate pour clavier (No. 19) en ut mineur, D. 958
Carl Czerny (1791-1857)
(Grande) Sonate pour clavier No. 6 en ré mineur, Op. 124
Aurelia Vișovan, pianoforte
Un album du label Passacaille PAS1121
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Photo à la une : la claviériste Aurelia Vișovan – Photo : © Andrés Añazco