On n’y aura pas pris garde de ce côté-ci du Rhin, mais à Postdam, dans l’ancienne capitale de Frédéric II, depuis treize années, Antonello Manacorda et la Kammerakademie de la ville engrangent patiemment une discographie symphonique dédiée au répertoire germanique pas loin d’être révolutionnaire.
Révélé par un pétulant cycle Mozart–Da Ponte pour la Fenice, Antonello Manacorda rêvait, depuis la fosse des théâtres qu’il fréquenta longtemps – je l’ai connu chef assistant de Marc Minkowski à l’Opéra de Lyon pour Orphée aux enfers – au grand répertoire symphonique.
Le travail qu’il aura entrepris à Postdam, renouvelant le personnel de l’orchestre, y important des éléments choisis de l’interprétation historiquement informée, se fixa, après un disque regroupant les trois dernières Symphonies de Mozart qui m’a échappé, sur Schubert : textures claires mais refusant l’allégement aseptisé, tempos prestes, ardeur rythmique, phrasés altiers : il y a du Cantelli dans son Inachevée, et du Toscanini dans sa Grande, et dans les « petites » symphonies, un formidable sens de l’influx vital, une façon de faire chanter jusqu’aux rythmes.
Le quatuor est fabuleux, rappelant que Manacorda fut d’abord violoniste. Les vents et les cuivres dispensent des couleurs intenses, l’espressivo domine dans les Andantes, les scherzos sont sciants de verve, battus à deux temps, surtout Antonello Manacorda souligne les harmonies novatrices dont Schubert épice ce monde entre Classicisme et Romantisme.
Stupeur avec le cycle suivant consacré à Mendelssohn : cette Ecossaise emplie d’embruns, parcourue de tempêtes, cette Italienne foudroyante, cette Réformation altière, d’une altitude quasi philosophique, les poèmes avec voix des deux premières Symphonies plus entendues avec une telle urgence depuis Wolfgang Sawallisch (et quels solistes, Pavol Breslik en tête !), tendent vers la perfection, et offrent la plus fascinante intégrale moderne d’un corpus moins couru au disque que le cycle Schubert.
J’attendais ensuite l’orchestre si singulier de Schumann, mais non, Antonello Manacorda et ses Postdamois font un retour dans le temps. Ce sera Beethoven, les deux premières Symphonies jaillissantes, foudroyantes, comme si l’encre en était à peine sèche, puis la Septième, fusante, solaire, d’une ivresse rythmique irrésistible. Les No. 5 et No. 6 suivent bientôt, l’éditeur promet le cycle bouclé pour 2024, mais ensuite Schumann, et probablement Brahms… espérons.
LE DISQUE DU JOUR
Felix Mendelssohn
Bartholdy (1809-1847)
Symphonie No. 4 en la majeur, Op. 90 « Italienne »
Symphonie No. 1 en ut mineur, Op. 11
Symphonie No. 3 en la mineur, Op. 56 « Écossaise »
Symphonie No. 5 en ré mineur, Op. 107 « Réformation »
Symphonie No. 2 en si bémol majeur, Op. 52 « Lobgesang »
Maria Bengtsson, soprano
Johanna Winkel, soprano
Pavol Breslik, ténor
NDR Chor
Kammerakademie Postdam
Antonello Manacorda, direction
Un coffret de 3 CD du label Sony Classical 194398569002
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Franz Schubert (1797-1828)
CD 1
Symphonie No. 1 en ut majeur, D. 82
Symphonie No. 10 en ré majeur, D. 936a (Fragment)
CD 2
Symphonie No. 2 en si bémol majeur, D. 125
Symphonie No. 4 en ut mineur, D. 417 « Tragique »
CD 3
Symphonie No. 3 en ré majeur, D. 200
Symphonie No. 7 (8) en si mineur, D. 759 « Inachevée »
CD 4
Symphonie No. 5 en si bémol majeur, D. 485
Symphonie No. 6 en ut majeur, D. 589
CD 5
Symphonie No. 8 (9) en ut majeur, D. 944 « Grande »
Kammerakademie Postdam
Antonello Manacorda, direction
Un coffret de 5 CD du label Sony Classical 19658764942
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Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Symphonie No. 1 en ut majeur, Op. 21
Symphonie No. 2 en ré majeur, Op. 36
Symphonie No. 7 en la majeur, Op. 92
Kammerakademie Postdam
Antonello Manacorda, direction
Un album de 2 CD du label Sony Classical 19658740072
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Photo à la une : le chef d’orchestre Antonello Manacorda –
Photo : © Pieter de Swart