Lorsqu’Antal Doráti prit à l’automne de 1977 le magister de l’Orchestre Symphonique de Detroit, la phalange de la capitale de l’industrie automobile cherchait à renouer avec l’âge d’or de l’époque Paul Paray. Le disque l’avait ignoré au long des années soixante et au début de la décennie suivante, alors même que Sixten Ehrling et Aldo Ceccato avaient maintenu un degré d’excellence certain.
En dote, Doráti offrait à l’orchestre le fastueux contrat passé avec Decca alors qu’il était à la tête de l’Orchestre Symphonique National de Washington. Dix-huit disques suivirent, majoritairement gravés à l’ère digitale, dans une stéréo opulente, les ingénieurs du son de Decca ayant déserté l’Auditorium Ford, lui préférant un ancien théâtre inauguré en 1928, transformé en cinéma, l’Union Artists Auditorium. Bonne pioche, l’orchestre allait enfin pouvoir faire rayonner sa sombre sonorité que Paul Paray avait en son temps éclaircie. Doráti fréquentait la phalange de Detroit depuis les années 1950 : la reprenant en mains, il imposa son grain sonore si intense, et sa furia rythmique que les années n’avaient pas amoindrie.
Eut-il conscience qu’il allait engranger ici son chant du cygne discographique ? En tous cas, il s’y souvient de ses débuts en tant que chef de ballet, revenant à la trilogie Stravinsky (et signant au passage sa plus renversante version de Pétrouchka, vraie pantomime sonore), renouant avec Rodeo et El Salon Mexico pour deux albums Copland spectaculaires – une solide estime réciproque entre le compositeur et le chef s’était transformée au cours des années en une indéfectible amitié – et se lance dans une anthologie Richard Strauss qui sera couronnée par la première mondiale au disque de Die ägyptische Helena emporté par une irrésistible Gwyneth Jones au sommet de son art et de ses moyens : jeune homme, Doráti avait assuré les répétitions avec les chanteurs à l’occasion de la création de l’ouvrage au Semperoper de Dresde sous la direction de Fritz Busch. Autre merveille de cette saga Strauss, la Suite de valses du Rosenkavalier assemblée par ses soins, qui ne doit pas masquer l’incroyable théâtre d’orchestre de la fantaisie symphonique tirée de Die Frau ohne Schatten.
Deux autres albums majeurs : un Mandarin merveilleux (ballet intégral) où il réédite le film d’horreur déjà projeté par sa légendaire gravure à la BBC et toujours au chapitre Bartók une Première Suite emplie de paysages magyars simplement irrésistibles.
Au printemps de 1980, Antal Doráti ajoutait à son continent discographique un nouveau compositeur, Karol Szymanowski. Jusque-là seuls les chefs polonais avaient illustré les œuvres du compositeur du Roi Roger au disque. L’album fit l’effet d’une bombe, Deuxième Symphonie débarrassée de tout postromantisme, mais surtout révélation de la version originale du Chant de la Nuit, où les mots de Hafiz sont confiés à un ténor et non à une soprano, ensorcelant son orchestre comme jamais – écoutez le cortège bachique – installant d’emblé la Troisième Symphonie enfin au répertoire international.
Coffret parfait, assorti d’un livret passionnant aussi par son iconographie, et qui réservera son lot de surprises : écoutez la Rapsodie espagnole de Ravel !
LE DISQUE DU JOUR
Antal Doráti & Detroit Symphony Orchestra
The Complete Decca Recordings
Œuvres de Piotr Ilyitch Tchaikovski, Franz Liszt, Georges Enesco, Maurice Ravel, Béla Bartók, Richard Strauss, Igor Stravinski, Karol Szymanowski, Antonín Dvořák, Aaron Copland, George Gershwin, Ferde Grofé
Detroit Symphony Orchestra
Antal Doráti, direction
Un coffret de 18 CD du label Decca 4853114
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Photo à la une : le chef d’orchestre Antal Doráti – Photo : © DR