Paradis et Enfer

Revenant aux Études-Tableaux qu’il aura enregistrées tout jeune homme voici trente ans, Nikolai Lugansky n’a pas abdiqué le vertigineux écueil qu’il soulignait entre les deux cahiers.

Aujourd’hui, il respecte l’ordre des pièces dans l’Opus 33, ce recueil d’impressions visuelles d’une poésie raffinée, face au sombre Opus 39, enfant de la Grande Guerre, cycle d’une complexité psychologique extrême. La face la plus sombre de Rachmaninov y paraît, dans une écriture saturée qui évoque parfois Medtner (l’Allegro assai), et exige du pianiste un quasi démonisme.

Lecture hautaine, implacable par la nature même de sa sonorité, ce piano si intense, teinté d’amertume est idéal pour les teintes mineures, soufrées, du second cahier, inferno dantesque – seul l’ultime étude est en majeur – mais il sait aussi évoquer les paysages secrets, les effets de lumière subtils de l’Opus 33 – la petite tempête de neige de la Cinquième Etude fut une des premières œuvres de Rachmaninov qu’il joua encore gamin sous le regard bienveillant de Tatiana Nikolayeva – le tout augmenté par un creusement du son, une ampleur du jeu harmonique qui magnifient aussi les Trois Pièces de 1917, regret quasi ravélien du Fragment, ostinato un peu Medtner de l’Esquisse orientale, nocturne trouble du Prélude en ré mineur, triade trop peu courue.

LE DISQUE DU JOUR

Sergei Rachmaninov
(1873-1943)
8 Études-Tableaux, Op. 33
9 Études-tableaux, Op. 39
3 Pièces de 1917

Nikolai Lugansky, piano

Un album du label harmonia mundi HMM902297
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Photo à la une : le pianiste Nikolai Lugansky – Photo : © DR