Dans l’entretien qu’il accorde à John Tolansky, Antonio Pappano confesse, concernant Turandot, avoir tardé. L’ouvrage lui résistait, de tous les opéras de Puccini le conte noir de la princesse de glace était celui qui lui parlait le moins, mais finalement, mis au pied du mur de l’enregistrement, s’immergeant dans la partition, il en aura vu les beautés et saisi la dramaturgie si singulière dans l’univers puccinien.
Confronté à la difficulté du choix de la version de la scène finale, il opte pour la première mouture rédigée par Franco Alfano, immense duo quasi jamais enregistré dans son intégralité et que l’on écourte en suivant le souhait de Toscanini. Les deux protagonistes, relativement épargnés tout au long d’un opéra envahi par les scènes chorales et les ensembles, vont s’y brûler.
Assurément Jonas Kaufmann y périt. L’âge est passé sur son ténor qui ne fut jamais, de timbre, d’élan, de placement, italien, surtout si on a dans l’oreille le Calaf absolu du siècle passé, Franco Corelli. Mais sa voix noire, son incarnation âpre auront leurs aficionados. Face à lui, Sondra Radvanovsky est simplement stupéfiante, princesse-sphinx qui avant les énigmes, dans un « In questa Reggia » que je n’avais pas entendu aussi chanté et dit à la fois depuis Gina Cigna, murmure comme en un songe amère le nom de l’aïeule assassinée. Son « Principessa Lo-u-Ling » se souvient de celui de Maria Callas. Incarnation fascinante qui commande de connaître cette nouvelle Turandot.
La Liù éperdue d’Ermonela Jaho, le Timur blessé de Michele Pertusi, un trio de mandarins grinçant, l’Altoum de pure composition de Michael Spyres, jusqu’au Prince de Perse de Francesco Toma qui précipite son aigu sous le sabre, tous sont emportés dans l’orchestre finement réglé par Antonio Pappano : quatuor remis en avant, cuivres tenus, bois évocateurs, la poésie plutôt que le technicolor, et une touche de morbidezza qui soudain rappelle combien Puccini fut attentif à la Seconde École de Vienne : l’orchestre de Turandot, empli d’effets sonores surprenants en porte trace : encore fallait-il le faire entendre.
LE DISQUE DU JOUR
Giacomo Puccini (1858-1924)
Turandot, SC 91
Sondra Radvanovsky,
soprano (Turandot)
Michael Spyres,
ténor (L’empereur Altoum)
Michele Pertusi,
basse (Timur)
Jonas Kaufmann,
ténor (Calaf)
Ermonela Jaho, soprano (Liu)
Mattia Olivieri, baryton (Ping)
Gregory Bonfatti, ténor (Pang)
Siyabonga Maqungo, ténor (Pong)
Michael Mofidian, baryton (Un mandarin)
Francesco Toma, ténor (Le prince de Perse)
Valentina Iannotta, soprano (Première Servante de Turandot)
Raksa Ramezani Melami, sopranos (Deuxième Servante de Turandot)
Orchestra e Coro dell’Academia Nazionale di Santa Cecilia
Antonio Pappano, direction
Un album du label Warner Classics 5054197406591
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Photo à la une : le chef d’orchestre Antonio Pappano – Photo : © Musacchio&Ianniello/Warner Classics