La danse lente, entre chiens et loups, où Apollon semble bercer les muses et où Stravinski fait un peu son Bach ouvre le second portrait qu’Isabelle Faust consacre à la collaboration entre Samuel Dushkin et l’auteur de la Symphonie de psaumes. Clou de l’album, un Concerto non plus joué en fer, mais pénétré d’une lyrique qui en éloigne le motorisme, épices les sarcasmes des mouvements vifs d’une pointe de fantaisie, surtout délivre une lecture émue de la page la plus mélancolique (et mélancolique jusqu’à la blessure) qui ait jamais coulé de la plume de Stravinski : l’Aria II, dont Les Siècles et François-Xavier Roth approfondissent l’esseulement d’un paysage empli de cendres.
L’usage d’instruments contemporains aux œuvres (et pour les bois et les vents sortis des ateliers des facteurs français qui auront inspiré à Stravinski les audaces de timbre du Sacre du printemps) souligne paradoxalement, par la légèreté de la touche, l’orgue de parfums, d’épices, de couleurs, tout ce que le compositeur aura transmué ici, concerto grosso, sonata da chiesa, du répertoire baroque, ce qu’Isabelle Faust capture de son archet léger, qui danse, se dégage du mordant, préfère l’allusion, et filer sur les pointes : magnifique Finale qui déroule son ruban et danse !
Il faut aller chercher le reste du violon de Stravinski, toujours configuré pour la technique et la sonorité si spécifique de Samuel Dushkin, sur l’autre disque, celui avec le diable en rouge où, en compagnie d’Alexander Melnikov, Isabelle Faust délivre une lecture millimétrée, fascinante par les jeux de timbre, du Duo concertant mais aussi de la tardive Élégie – on la joue à l’alto ou au violon – cette fois composée pour Germain Prévost, en fait un tombeau qui ne dit pas son nom pour le fondateur du Quatuor Pro Arte, Alphonse Onnou, jeu de forme sur une illusoire fugue à deux voix.
Les « compléments » sont, d’un album l’autre, remarquables ; face au Duo concertant le conte implacable de L’Histoire du soldat où Dominique Horwitz se détriple avec autant de poésie vaudoise que de brio dans l’art de la composition, dans les épices d’instruments contemporains de la création de l’œuvre et avec le violon bon marché qui se désaccorde avec art sous les doigts d’Isabelle Faust, face au Concerto les opus de quatuors, l’Élégie, œuvres rares jouées sans sécheresse.
LE DISQUE DU JOUR
Igor Stravinski (1882-1971)
Apollon musagète, K 048 (extrait : No. 3. Pas d’action. Apollo et les trois Muses)
Concerto pour violon et orchestre en ré majeur,
K 075
3 Pièces pour quatuor à cordes, K 019
Concertino pour quatuor à cordes, K 035
Pastorale en fa dièse majeur, K 006
Double Canon, K 092 “Raoul Dufy in Memoriam”
Isabelle Faust, violon
Les Siècles
François-Xavier Roth, direction
Un album du label harmonia mundi HMM902718
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Igor Stravinski (1882-1971)
Élégie, K 072 (version pour violon)
Duo concertant
L’Histoire du soldat, K 029
Concertino pour quatuor à cordes, K 035
Pastorale en fa dièse majeur,
K 006
Double Canon, K 092 “Raoul Dufy in Memoriam”
Isabelle Faust, violon
Alexander Melnikov, piano
Dominique Horwitz, récitant
Lorenzo Coppola, clarinettes
Javier Zafra, basson
Reinhold Friedrich, cornets à pistons
Jörgen van Rijen, trombone
Wies de Boevé, contrebasse
Raymond Curfs, percussions
Un album du label harmonia mundi HMM902671
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Photo à la une : la violoniste Isabelle Faust – Photo : © DR