« Ave Regina caelorum ». À l’incipit du Premier Livre des Sacræ Cantiones, on croirait entendre un motet flamand, lorsque soudain la soprano déploie un mélisme qui infuse dans la polyphonie une première étrangeté harmonique. Gesualdo s’empare de la laudation, presse le pouvoir d’émotion du texte dans un lacis polyphonique, l’enserre dans des chromatismes qui servent un discours expressionniste. Personne n’aura songé, avant lui, transporter le sacré vers le madrigal avec tant d’élévation spirituelle et d’émotion tout ensemble.
Quadrature du cercle que les solistes vocaux d’il pomo d’oro transfigurent dans leur chant ardent, précis, à l’exacte croisée de la prière et du poème. Cela fait office de révélation pour la part la moins enregistrée du corpus de Gesualdo : côté sacré, les ensembles préfèrent regarder vers les Ténèbres, plus univoques.
Pourtant, c’est ici que le compositeur, passant ses trente-sept ans, effectue son ultime métamorphose qui conduira au 5e et 6e Livres de Madrigaux, le pathétisme des suspensions, le soulignements des affects, les envols brisés vers la rédemption rappellent que, tout meurtrier qu’il fut, usant dans sa jeunesse du crime d’honneur, le Prince de Venosa était un mystique dont la lignée remonte à Saint Charles Borromée, rien moins. Disque stupéfiant, qui me rend impatient du Second Livre.
LE DISQUE DU JOUR
Carlo Gesualdo (1566-1613)
Sacræ Cantiones, Livre I
il pomo d’oro (Chœur)
Giuseppe Maletto, direction
Un album du label Aparté AP312
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Photo à la une : © DR