EMI Londres n’aura pas tardé, le jeune quatuor réuni autour de la violoniste roumaine Corina Belcea n’avait que six années lorsqu’il gravera sous l’œil et l’oreille de Nipper son premier disque.
Série DEBUT, photo en noir et blanc sur fond de pochette blanche. On était à l’orée du nouveau siècle, l’aventure avec le prestigieux label britannique allait durer dix ans, chaque disque provoquant l’admiration des deux côtés de la Manche. Les Belcea suivaient-ils le chemin d’excellence tracée par les Berg ? En tous cas, le quatuor viennois les adouba ; dès leur troisième disque, l’alto de Thomas Kakuska les rejoint pour le Second Quintette de Brahms, Valentin Erben sera le violoncelle supplémentaire de leur Quintette de Schubert. La filiation existe, reproduisant le ton chaleureux du jeu d’ensemble qui ne fond pas les individualités, laissant chaque archet saillir à loisir, quadrature du cercle que les Berg avaient inaugurée.
Les Belcea bénéficiaient d’une chance supplémentaire qui se nommait John Fraser, producteur et directeur artistique historique d’His Master’s Voice. Sous son œil avisé, le quatuor qui mariait deux virtuoses venus d’Europe de l’Est, Corina Belcea et l’altiste polonais Krzysztof Chorzelski à deux virtuoses anglais, Laura Samuel et Alasdair Tait, tous s’étant liés d’amitié au Royal College of Music, trouva rapidement un équilibre souverain que magnifiait l’acoustique chaleureuse du Potton Hall, siège de quasi tous leurs enregistrements. À quelques encablures des cotes du Suffolk, le lieu distille une certaine magie dont on peut percevoir l’écho dés leur premier album : ce Quatuor de Ravel a des vertus oniriques, celui de Debussy un élan net qui le projette dans la modernité, Ainsi la nuit placé entre les deux opus n’y faisant pas hiatus.
Vienne suivra, un premier album Schubert d’une cruelle poésie, un doublé Brahms, Premier Quatuor et Second Quintette mariant le jeune homme ténébreux et le vieillard se délectant de son automne, où passe le souvenir des Berg dans l’énergie comme dans la lyrique.
Puis Britten pour la plus éclairante (et un peu impitoyable) intégrale des trois Quatuors, parenthèse avant un retour à Vienne : une Truite élégante et un rien secrète – le piano mesuré de Thomas Adès n’y est pas pour peu ; seulement deux Quatuors de Mozart et dans l’intrada des Dissonances la plus fidèle image sonore de la singularité des Belcea, chacun dosant le son de l’autre, puis retour aux ultimes Schubert, Quintette compris.
Mais l’opus majeur restait à venir, après qu’Alastair Tait a laissé le pupitre de violoncelle à Antoine Lederlin : les Quatuors de Bartók fascinant à force de perfection et d’audace à la fois.
Incroyable !, ce sommet sera leur dernier opus pour EMI Classics. L’éditeur ajoute une Bonne chanson prise dans un récital de Ian Bostridge, délicieusement exotique, et surtout les plages du cycle de Butterworth, le Dover Beach de Barber aussi, occasion de retrouver le baryton si expressif de Jonathan Lemalu.
LE DISQUE DU JOUR
Belcea Quartet
The Complete Warner Classics Edition, 2000-2009
CD 1
Claude Debussy (1862-1918)
Quatuor à cordes en sol mineur, Op. 10, CD 91, L. 85
Henri Dutilleux (1916-2013)
Quatuor à cordes, « Ainsi la nuit »
Maurice Ravel (1875-1937)
Quatuor à cordes en fa majeur, M. 35
CD 2
Franz Schubert (1797-1828)
Quatuor à cordes No. 13 en la mineur, D. 804 « Rosamunde »
Quatuor à cordes No. 12 en ut mineur, D. 703 (fragment)
Quatuor à cordes No. 10 en mi bémol majeur, D. 87
CD 3
Johannes Brahms (1862-1918)
Quatuor à cordes No. 1 en ut mineur, Op. 51 No. 1
Quintette à cordes No. 2 en sol majeur, Op. 111*
Thomas Kakuska, alto II
CD 4
Benjamin Britten (1913-1976)
Quatuor à cordes No. 1 en ré majeur, Op. 25
Quatuor à cordes No. 2 en ut majeur, Op. 36
Three Divertimenti for String Quartet
CD 5
Benjamin Britten (1913-1976)
Quatuor à cordes No. 3, Op. 94
Gabriel Fauré (1845-1924)
La bonne chanson, Op. 61 (version pour voix, piano et quintette à cordes)
Ian Bostridge, ténor – Julius Drake, piano – Leon Bosch, contrebasse
Samuel Barber (1910-1981)
Dover Beach, Op. 3
George Butterworth (1913-1976)
Love Blows As The Wind Blows
Jonathan Lemalu, baryton
CD 6
Franz Schubert (1797-1828)
Quintette pour piano et cordes en la majeur, D. 667 « Truite »
Thomas Adès, piano – Corin Long, contrebasse
CD 7
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Quatuor à cordes No. 19 en ut majeur, K. 465 « Dissonances »
Quatuor à cordes No. 20 en ré majeur, K. 499 « Hoffmeister »
CDs 8-9
Béla Bartók (1881-1945)
Quatuor à cordes No. 1 en la mineur, Op. 7, Sz. 40, BB 52
Quatuor à cordes No. 3, Sz. 85, BB. 93
Quatuor à cordes No. 5, Sz. 102, BB 110
Quatuor à cordes No. 2, Op. 17, Sz. 67, BB 75
Quatuor à cordes No. 4, Sz. 91, BB. 95
Quatuor à cordes No. 6, Sz. 114, BB 119
CDs 10-11
Franz Schubert (1797-1828)
Quatuor à cordes en ut majeur, D. 956*
Quatuor à cordes No. 15 en sol majeur, D. 887
Quatuor à cordes No. 14 en ré mineur, D. 810 « La jeune fille et la mort »
Valentin Erben, violoncelle II
Quatuor Belcea
Un coffret de 11 CD du label Warner Classics 5054197211430
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Photo à la une : les membres du Quatuor Belcea, © DR