Marcel Proust surprit un jour Wanda Landowska occupée à « mordre » Hélène Vacaresco « à la fesse ». Du moins Proust entendit-il cet instrument étrange que la Polonaise avait réinventé, le clavecin. D’ailleurs le temps des anciens instruments à clavier était venu, depuis que Louis Diémer les avait tirés de la poussière des musées, les faisant rafistoler, les jouant en petit comité.
Cette simple anecdote n’est pas la vraie raison des correspondances entre l’écrivain et l’instrument à cordes pincées, Oliver Baumont s’appuie sur les lignes d’Anna de Noailles qui dans son Hommage à Marcel Proust à l’intention du numéro commémoratif de la revue de la NRF notait « Si riche d’instinct et de culture, possédant le mécanisme intellectuel le plus délicat et le plus simple, joueur de pur clavecin et maître de l’orchestration retentissante ». Le plus sensible, le plus délicat, le plus subtil de l’art du « petit Marcel » s’apparentait au clavecin, cet « orgue » (dans le sens des parfumeurs) de couleurs, d’émotions, où s’introduisait l’exotisme délicieusement douloureux d’un temps perdu.
Itinéraire par les personnages de la Recherche et de leurs masques. À Charles Morel (alias transparent de Léon Delafosse) Scarlatti et Bach, à Albertine Simonet, amazone à vélo sur la plage de Balbec, les plaisirs au goût de villégiature de Couperin et de Rameau. Autres entrées, les intimes, dont Reynaldo Hahn qui parait éparpillé dans la Recherche ici dans un détail physique, là dans un bon mot.
Du temps des clavecinistes à celui des modernes, Olivier Baumont trace le portrait d’un univers et de son époque, se souvenant que Jules Massenet, le maître aimé de Reynaldo Hahn aura écrit un Menuet pour sa Thérèse, s’adaptant au clavecin l’Allegro de la Sonatine du Vénézuélien, et incarnant au clavecin, avec la troisième main de Nicolas Mackowiak l’épinette évoquée par Ravel mettant en musique le poème de Clément Marot qu’Ingrid Perruche chante pour l’intimité d’un salon.
Le voyage commence et s’achève chez Couperin, ce compositeur du sensible, ce pastelliste des âmes, à travers le temps peut-être le plus vrai double, pour l’émotion, de Marcel Proust. Olivier Baumont boucle ici son propre univers, lui qui fit de Couperin le sommet de son art, dans cet album raffiné, spirituel, où il révèle jusqu’au pastiche des Six Pièces de clavecin d’Eugène Anthiome : la Toccata donne envie d’entendre le reste de cette suite.
LE DISQUE DU JOUR
Un clavecin pour
Marcel Proust
François Couperin
(1668-1733)
Les Baricades mistérieuses
(No. 5, extrait du « Second Livre de Pièces de clavecin, Ordre VI »)
Les Ombres-errantes
(No. 5, extrait du « Quatrième Livre de Pièces de clavecin, Ordre XXV »)
Jean-Philippe Rameau (1683-1764)
Les Indes galantes [RCT 44] – Quatre Concerts (Grande Suite pour le clavecin arrangée par le compositeur)
(5 extraits : No. 11. Premier air des Fleurs – No. 13. Gavotte vive pour les Fleurs – No. 7. Air [gracieux] pour les Amours – No. 12. Air [tendre] pour la Rose – No. 17. Gavotte pour les Fleurs
Leontzi Honauer (c. 1730-c. 1790)
Sonate pour clavecin avec accompagnement de violon No. 5 en la majeur, Op. 3 No. 5 (extrait : II. Andante)
Jules Massenet (1842-1912)
Thérèse – Le Menuet d’amour
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Suite anglaise No. 6 en ré mineur, BWV 811
(2 extraits : VI. Gavotte I – VII. Gavotte II ou Musette)
Prélude et Fugue [No. 6] en ré mineur, BWV 851
Eugène Anthiome (1836-1916)
Toccata en ut mineur
Domenico Scarlatti (1685-1757)
Sonate pour clavier en sol majeur, K. 144
Sonate pour clavier en sol majeur, K. 55
Jean-Philippe Rameau (1683-1764)
Dardanus, RCT 35 – Gavotte (arr. pour clavecin : Balbastre)
Reynaldo Hahn (1874-1947)
Sonatine pour piano (extrait : I. Allegro non troppo)
Jacques Champion de La Chapelle (?-1642)
Alemande & 2 Variations attribuées à Sweelinck
Maurice Ravel (1875-1937)
Epigrammes de Clément Marot – II. D’Anne jouant de l’espinette, M. 10
Olivier Baumont, clavecin
Ingrid Perruche, soprano
*Pierre-Eric Nimylowycz, violon
Nicolas Mackowiak, troisième main
Un album du label L’Encelade ECL2004
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Photo à la une : le claveciniste Olivier Baumont – Photo : © DR