D’une rive de la Mer noire à l’autre, Can Çakmur fait résonner les doinas roumaines de la Troisième Sonate d’Enesco, qu’il joue très improvisée, en doigts véloces et sans en augmenter les soleils naturels, avec la grande Sonate achevée juste avant sa mort par Ahmed Adnan Saygun, où le folklore n’est plus qu’éléments éparses, signalétiques subliminales.
Quasi soixante ans séparent les deux œuvres, deux mondes différents, pas si opposés que cela malgré les apparences, mais jouant des pistes croisées avec brio, Can Çakmur désigne une autre correspondance : tout la part savante de l’opus de Saygun sonne dans son disque comme un écho à la grande arche composée en 1924 par Dimitri Mitropoulos. La Passacaglia, Intermezzo e Fuga, écrite après les sévères critiques que Busoni lui avait adressées suite à l’audition de sa Sonate Grecque, avoue une fascination naissante pour le sérialisme et la recherche d’une maîtrise des formes anciennes qui constituaient justement l’une des bases de l’art de Busoni.
Un petit cercle d’interprètes et de musicologues considéra ce triptyque comme un chef-d’œuvre au long des années trente, sans pourtant réussir à l’imposer (d’autant que Mitropoulos semble s’en être lui-même détourné). Can Çakmur fait entendre tout ce qu’elle doit en effet à Busoni, mais surtout, en la plaçant en miroir avec la Sonate de Saygun souligne le fil rouge entre ces deux univers qui tendent vers une même abstraction lyrique.
Le populaire et le savant, Béla Bartók les aura réunis dans sa Sonate, placée en prélude de ce disque surprenant, et jouée avec un plaisir rapace, ardant les hungarismes qui pimentent le motorisme de l’Allegro moderato, distillant l’entre-cloches sinistre du Sostenuto e pesante, avant d’exalter le petit orchestre de village que Bartók aura rassemblé dans un clavier fusant au long du Finale que le pianiste envole avec brio. L’autre visage de cet artiste qui dans son prochain disque reviendra à son tropisme Schubert avec les Sonates, D. 537 et D. 959.
LE DISQUE DU JOUR
Béla Bartók (1881-1945)
Sonate pour piano, Sz. 80,
BB 88
Dimitri Mitropoulos (1896-1960)
Passacaglia, intermezzo e fuga
Ahmed Adnan Saygun (1907-1991)
Sonate pour piano, Op. 76
Georges Enesco (1881-1955)
Sonate pour piano No. 3 en ré majeur, Op. 24 No. 3
Can Çakmur, piano
Un album du label BIS Records 2630
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Photo à la une : le pianiste Can Çakmur – Photo : © Muhsin Akgun