Qu’on ne s’y trompe pas, l’Espagne de fantaisie qu’illustre Maurice Ravel dans son orchestre épicé (et pas seulement horloger), est un pur prétexte à l’Esprit français de la conversation qu’illustre avec un brio canaille le formidable livret de Franc-Nohain.
Il y faut mettre une prononciation vive et subtile, infiniment mouvante à l’égal d’un orchestre pensé en partenaire de chambre, ce que Les Siècles font entendre mieux qu’aucune autre formation. À ce jour, le disque n’aura capturé que des formations dont le format sonore était souvent trop opulent, seulement idéalement apparié avec le quintette final.
Les timbres des instruments français peu ou prou de l’époque de Ravel rétablissent un équilibre entre la finesse des parties vocales et l’art tour à tour évocateur (écoutez comment les instruments « frisent » autour de l’entrée de Gonzalve, qui chante d’abord sous le balcon) ou impétueux de l’habillage orchestral. Quelle cambrure dans l’air de Concepcion et quel caractère chez Isabelle Druet. Aurait-elle entendu Fanny Heldy, amoureuse avec cravache ? C’est possible, elle n’en est pas à sa première horlogère, y compris au disque, mais elle a encore raffiné son personnage depuis son enregistrement lyonnais pour Leonard Slatkin.
Subtilités dans la restitution des fantaisies de Franc-Nohain, exactitude absolue pour les notes et la prosodie de Ravel, surtout aucune caricature, ce que l’œuvre risque souvent à force de grossissement des personnages.
Merveilleux Loïc Félix dont on sent la tendresse pour son épouse infidèle, formidable Jean Teitgen dans un Don Inigo Gomez plus amoureux que potentat – sa petite aria avant d’entrer dans l’horloge est délicieuse –, déménageur certes amateur mais surtout bon garçon et jamais benêt selon Thomas Dolié. La palme revient surtout au Gonzalve, juste lunaire comme il faut, de Julien Behr qui varie son personnage : on le comparera à lui-même en réécoutant la version d’Asher Fisch (voir ici).
François-Xavier Roth et Les Siècles ajoutent en coda le Boléro, hypnotique revue de détail de la machine orchestrale qui rayonne de timbres épicés et de rythmes brillants. Magnifique, et au tempo giusto.
LE DISQUE DU JOUR
Maurice Ravel (1875-1937)
L’Heure espagnole, M. 52
Boléro, M. 81
Isabelle Druet, mezzo-soprano (Concepcion)
Julien Behr, ténor (Gonzalve)
Loïc Félix, ténor (Torquemada)
Thomas Dolié, baryton (Ramiro)
Jean Teitgen, basse (Don Inigo Gomez)
Les Siècles
François-Xavier Roth, direction
Un album du label harmonia mundi HMM905361
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Photo à la une : le chef d’orchestre François-Xavier Roth – Photo : © Holger Talinski