Deutsche Grammophon a édité voici peu un remarquable coffret assemblant l’intégralité des enregistrements officiels de Carl Seemann (1910–1983), Orfeo répond aujourd’hui en collationnant dans une boîte tout aussi essentielle les six disques alternant concerts publics et concerts radiophoniques. Un pianiste ? Pas d’abord au fond. L’orgue fut son premier instrument, et il joua celui de la Thomaskirsche, ayant pour maître Straube et Ramin. Bach fut le pain quotidien de sa jeunesse, mais là où ses maîtres étaient encore des Romantiques, Seemann serait d’emblée un moderne.
Par Bach, il irait à Hartmann, à Stravinski, à Alban Berg. Son piano avare de couleurs, au grain serré, aux doigts ancrés, en aura fait fuir plus d’un, probablement avec raison. Trop allemand se rient les moqueurs. Si analytique plutôt, et d’une rigueur qui ne sera jamais encline au plaisir : le ton et la manière iront aussi bien aux Partitas de Bach (intégrale, pour Radio Bremen) qu’à la Sonate, Op. 116 de Reger où il corsète l’archet toujours trop impétueux d’Enrico Mainardi.
Le coffret illustre d’ailleurs le chambriste – tout un récital avec Wolfgang Schneiderhan doublonne certes les gravures Deutsche Grammophon sinon pour la 3e Sonate de Bach où l’espressivo des phrasés du violoniste s’oppose à la rigueur métrique du piano, leur alliage sera plus naturel chez Beethoven, Mozart ou Schubert – mais aussi le concertiste.
Le disque Beethoven est révélateur. István Kertész veut bien le tenter un peu, lui faisant un orchestre façon Mozart, sur les pointes, mais Carl Seemann entre sérieux comme un pape, jouant modéré, et avec une beauté de timbre déjà fabuleuse. Kertész insiste, anime les bois et les vents, fait les cordes mutines, et Seemann fait céder sa réserve naturelle, se prenant au jeu, et divinement !, comme il savait se l’autoriser au concert : Beethoven est heureux. Le Finale piaffera, un régal de piano impérial dans cet orchestre d’opéra !
Orfeo rajoute, prise dans des enregistrements de studio pour la Radio de Hambourg, une petite Sonate en mi bémol majeur jouée irrévérencieuse, assez Haydn, petit merveille tout en demi-caractère, puis, dans une prise plus ancienne (1952) et sur un très beau piano (Bechstein probablement), de subtiles et fusantes Bagatelles, Op. 126. On les comparera avec intérêt à l’enregistrement officiel pour Deutsche Grammophon, le Concerto et la Sonate faisant d’ajouts utiles à la trop mince discographie de ce pianiste qu’on redécouvre enfin.
Mozart le déride. Quelle fantaisie joueuse au long du 14e capté dans son cher Kiel, que Leopold Hager anime comme un petit opéra, et quelle élégance sans apprêt au long du merveilleux Andantino, Seemann le disant avec une pudeur admirable.
Les grands décors du 25e le montreront rayonnant, d’une ampleur sonore sans aucun alourdissement, et cette fois à Hambourg, dessinant chaque trait avec une poésie qui me fait parfois penser à Kempff, ce qui pourra surprendre ceux qui pensent que Seemann n’aura été qu’un pianiste académique, alors qu’à l’égal de son confrère hanséatique Conrad Hansen, il était capable d’un lyrisme ombrageux qui trouve d’évidence le ton de demi-caractère de l’œuvre, la direction éloquente de Wilfried Böttcher semblant parfois à contrario du discours mesuré, cherchant l’intime (sublime Andante).
Ajout majeur à sa discographie, qui rappelle justement à quel point il fut le pianiste des Modernes, le Kammerkonzert de Berg, raidi par la battue d’Hindemith reste, par ses dialogues avec le violon de Wolfgang Marschner, un document d’importance, que l’éditeur fait précéder des Quatre Tempéraments de Paul Hindemith selon Clara Haskil et le compositeur, un autre monde et un autre piano !
LE DISQUE DU JOUR
Carl Seemann
The Orfeo Recordings, 1952-1979
CD 1 & 2
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Partita No. 1 en si majeur, BWV 825
Partita No. 2 en do mineur, BWV 826
Partita No. 4 en ré majeur, BWV 828
Partita No. 3 en la mineur, BWV 827
Partita No. 5 en sol majeur, BWV 829
Partita No. 6 en mi mineur, BWV 830
Enregistré le 6 juin 1965
CD 3
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Sonate pour violon et clavecin No. 3 en mi majeur, BWV 1016
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Sonate pour violon et piano No. 3 en mi bémol majeur, Op. 12 No. 3
Franz Schubert (1797-1828)
Sonate pour violon et piano en la majeur, D. 574 (Grand Duo)
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Sonate pour violon et piano en mi majeur, K. 454
Wolfgang Schneiderhan, violon
Enregistré le 15 juin 1964
CD 4
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Concerto pour piano et orchestre No. 25 en ut majeur, K. 503
NDR Symphonieorchester Hamburg – Wilfried Böttcher, direction
Enregistré le 6 décembre 1979
Concerto pour piano et orchestre No. 14 en mi bémol majeur, K. 449
NDR Symphonieorchester Hamburg – Leopold Hager, direction
Enregistré le 25 février 1972
CD 5
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Concerto pour piano et orchestre No. 2 en si bémol majeur, Op. 19
Sinfonieorchester des Norddeutschen Rundfunks – István Kertész, direction
Enregistré les 10-11 mars 1963
Sonate pour piano No. 9 en mi bémol majeur, Op. 14 No. 1
Enregistré le 9 mai 1962
6 Bagatelles, Op. 126
Enregistré le 23 mai 1952
CD 6
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Sonate pour viole de gambe et clavecin No. 2 en ré majeur, BWV 1028 (version pour violoncelle et piano)
Enrico Mainardi, violoncelle – Carlo Zecchi, piano
Enregistré le 21 mars 1956
Max Reger (1873-1916)
Sonate pour violoncelle et piano No. 4 en la mineur, Op. 116
Enrico Mainardi, violoncelle
Enregistré le 2 mars 1973
CD 7
Paul Hindemith (1895-1963)
Les Quatre Tempéraments – Thema mit vier Variationen, pour piano et cordes
Clara Haskil, piano – Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks – Paul Hindemith, direction
Enregistré le 1er juin 1955
Symphonie en mi bémol majeur
Alban Berg (1885-1935)
Kammerkonzert
Wolfgang Marschner, violon – Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks – Paul Hindemith, direction
Enregistré le 8 octobre 1959
Carl Seemann, piano
Un coffret de du label Orfeo C26007
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Photo à la une : le pianiste Carl Seemann, avec le violoniste Wolfgang Schneiderhan – Photo : © Deutsche Grammophon