Bach aimait jouer l’alto, cet instrument qui donne du corps aux polyphonies des petits ensembles instrumentaux de son temps, il y entendait le souvenir des voix médianes de ses cantates et de ses Passions, ce soprano sombre qui est comme l’émanation du domaine spirituel.
Lillian Fuchs n’hésita pas à s’emparer du cahier des Six Suites pour violoncelle, d’abord quelques suites au concert, puis enfin l’ensemble pour les micros de Decca en 1952, complétant le cahier en 1954. Elle rappelait le doute constant quant au destinataire de ce cahier. Viole ou violoncelle ? À sa manière, Anner Bylsma répondit en choisissant un violoncelle piccolo, plus proche de l’alto féminin que du baryton qu’évoqueront des générations de violoncellistes après le geste princeps de Pau Casals, dont les lourds albums de 78 tours firent entrer les Six Suites dans l’intimité des foyers.
Et si Casals avait menti ? Tout de suite les grands mots. Pourtant, en écoutant la touche athlétique et l’archet poète de Lillian Fuchs, en s’étourdissant aux registres somptueux de son grand Gasparo da Salò, comment ne pas entendre à quel point le discours de Bach, les danses comme les méditations, se coulent avec un naturel supérieur dans la nature sonore même de l’alto ?
Les microsillons, essentiellement disponibles aux Etats-Unis, sont devenus légendaires, et avec raison. Lillian Fuchs y résumait son art si éloquent (et d’une touche à la justesse aveuglante), et donnait un nouveau visage aux Suites. La réédition qu’en propose Biddulph, probablement à partir d’un jeu de microsillons en condition optimale, conserve cette sonorité miraculeuse, ce chant pur et pourtant expressif qui rendent cette proposition si émouvante.
En complément, le Deuxième Duo de Mozart avec Robert Fuchs (ils réenregistreront les deux Duos ensuite pour Columbia), et les trois Madrigaux que Bohuslav Martinů leur écrivit justement après avoir entendu leur Mozart, rappellent que la discographie commune de la sœur et du frère dort majoritairement dans les archives (sinon leurs diverses versions de la Symphonie concertante de Mozart, des modèles).
Elle mériterait que Biddulph se penche sur cet héritage, en rééditant également tous les opus de musique de chambre enregistrés pour Brunswick ou Columbia rappelés par Tully Potter dans son excellente note, Sérénade de Beethoven, Trio avec clarinette de Mozart, Trio d’Albert Roussel, avant d’explorer la vaste discographie, sonates et concertos, que Robert Fuchs nous a laissée.
LE DISQUE DU JOUR
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Les 6 Suites pour violoncelle seul (versions pour alto)
No. 1 en sol majeur, BWV 1007
No. 2 en ré mineur, BWV 1008
No. 3 en ut majeur, BWV 1009
No. 4 en mi bémol majeur,
BWV 1010
No. 5 en ut mineur, BWV 1011
No. 6 en ré majeur, BWV 1012
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Duo pour violon et alto No. 2 en si bémol majeur, K. 424
Bohuslav Martinů (1890-1959)
3 Madrigaux, H. 313
Lillian Fuchs, alto
Joseph Fuchs, violon
Un album de 2 CD du label Biddulph Recordings 85002-2
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Photo à la une : l’altiste Lillian Fuchs – Photo : © DR