Le chef-d’œuvre lyrique d’Hindemith ? Certains rétorqueront que les petits opéras des années vingt sont plus radicaux, que le vrai génie lyrique d’Hindemith sera parvenu à destination plus tard, avec Mathis der Maler, et plus tard encore avec l’élévation spirituelle, et surtout cosmique, de Die Harmonie der Welt.
Mais si l’opéra est aussi, et d’abord, un théâtre, Cardillac dame le pion à tous. Hindemith le savait pertinemment, qui reprit son ouvrage en 1952 (alors qu’il envisageait déjà Die Harmonie der Welt, ayant composé la symphonie prémonitoire), modifiant à la marge le scénario, mais guère la musique, dont le drive fabuleux est l’épice principale.
Pas un instant de répit dans cette heure et demie, même dans l’attente érotique de La Dame, avant que Le Chevalier ne lui apporte cette ceinture d’orfèvrerie que Cardillac viendra reprendre quitte à assassiner l’amant. Géniale musique, de bout en bout, des cris au meurtre de la foule qui ouvre l’ouvrage dans un tumulte, à la rêverie avec clarinette opiacée de La Dame, de l’annonce de la chambre ardente par Le Prévôt au dernier baiser de Cardillac non à sa fille, mais à la chaîne d’or du Prévôt qu’il a façonnée de ses mains.
Discographie et vidéographie minces, mais de qualité, la gravure princeps de Joseph Keilberth, réalisée pour l’orfèvre assassin de Dietrich Fischer-Dieskau restant imbattable (aussi pour La Dame d’Elisabeth Söderström), l’alternative dirigée par Gerd Albrecht (Wergo) restant en deçà. Qui voudra voir Cardillac hésitera avec raison entre le spectacle de Munich dirigé par Sawallisch, de pure tradition, et la mise en scène assez géniale de l’Opéra de Paris où Andreas Engel transforme Cardillac en Arsène Lupin (formidable Alan Held).
Tous sont restés fidèles à la version originale, la nouvelle gravure de Stefan Soltész ne faisant pas exception, admirablement conduite dans un tumulte inextinguible où paraît une incarnation majeure, l’orfèvre de Markus Eiche, monstre possédé par sa création, qui ressuscite l’incarnation terrifiante posée une fois pour toute par Dietrich Fischer-Dieskau.
Mais il faut aussi entende la fatuité du Chevalier d’Oliver Ringelhahn, Juliane Banse, fille de Cardillac si émouvante dans son adresse à son père au deuxième Acte, et regretter que La Dame de Michaela Selinger n’ait pas absolument la justesse funambule qu’exige le rôle et que seule Elisabeth Söderström sut trouver.
LE DISQUE DU JOUR
Paul Hindemith (1895-1963)
Cardillac, Op. 39
Juliane Banse, soprano
(La fille de Cardillac)
Michaela Selinger, mezzo-soprano
(La dame)
Torsten Kerl, ténor
(L’officier)
Oliver Ringelhahn, ténor
(Le chevalier)
Markus Eiche, baryton (Cardillac)
Kay Stiefermann, basse (Le maréchal-prévôt)
Jan-Hendrik Rootering (Le marchand d’or)
Chœur de la Philharmonie de Prague
Münchner Rundfunkorchester
Stefan Soltész, direction
Un album de 2 CD du label BR-Klassik 900345
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Photo à la une : le chef d’orchestre Stefan Soltész – Photo : © DR