Cette main qui effleure le presque-rien des premières mesures de la Mazurka en la mineur, sans traîner, ce son naturellement doré, le contrepoint de la main gauche lui-même comme un chant, qui joue ainsi Chopin comme on ne le joue plus aujourd’hui, tendre et nostalgique, sur le fil, avec ce je ne sais quoi de mozartien, cette pudeur, cette délicatesse ?

Adi Neuhaus, le fil de Stanislas. Comme son père il a le génie des phrasés, et surtout le déploiement de la profondeur harmonique. Tout l’art enclos ici est émerveillé de couleurs, si proche en cela par instants de celui de son grand-père Heinrich, une chance pour les fastueuses Variations Corelli de Rachmaninov, pour les paysages des Waldszenen, que le jeune homme voit sombres, secrètes, assez Arrau dans la pure poésie qui excède les vignettes, pour en faire une ballade un peu crépusculaire.

Secret de tant de beautés, une maîtrise du jeu de pédale, qui colore et élance, éteint au murmure ou envole, toute une science invisible qui trouvera son acmé dans une Deuxième Sonate de Scriabine, si songeuse dans les feutres des marteaux au long d’un Andante hors du temps, où le clavier divague dans des lueurs crépusculaires, cette finesse du toucher, l’onirisme de tout cela avant le volando du Finale, irréel lui aussi.

Ah, il nous doit un disque tout Scriabine !

LE DISQUE DU JOUR

Frédéric Chopin (1810-1849)
3 Mazurkas, Op. 59
Robert Schumann
(1810-1856)
Waldszenen, Op. 82
Alexandre Scriabine
(1872-1915)
Sonate pour piano No. 2,
Op. 19
Sergei Rachmaninov
(1873-1943)
Variations sur un thème de Corelli, Op. 42

Adi Neuhaus, piano

Un album du label Indésens Records IND164
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Photo à la une : le pianiste Adi Neuhaus – Photo : © DR