Le coup de génie de Charpentier ? Avoir trouvé dans le sujet biblique des amitiés entre David et Jonathas le fil dramatique implacable ; le resserrement de l’action comme des portraits psychologiques le font échapper aux canons de la tragédie lyrique, et lui auront laissé couler de sa plume le plus moderne des opéras de son temps qui nous touche au cœur avec une violente acuité malgré les siècles. De cela la direction enflammée de Gaétan Jarry rend compte par son geste démesuré dès la grande scène inaugurale confrontant Saül et La Pythonisse où l’ombre de Samuel paraît, moment saisissant.
Le ton est donné, le drame se nouera dans cet alliage subtil de passion et de violence, si moderne, et dont le spectacle inspiré, signé par Marshall Pynkoski dans le chœur de la Chapelle Royale, rend compte avec autant de faste (les costumes de Christian Lacroix) que de puissance dramatique. Voir le chef-d’œuvre de Charpentier enfin magnifié dans sa lettre et dans son esprit suffirait à commander la possession de cet admirable coffret au petit livret d’art remarquable.
Mais il faut aussi entendre, après quatre autres versions (si l’on inclut la seconde proposition des Arts Florissants pour la mise en scène d’Andreas Homoki, uniquement disponible en DVD, le saisissement que provoque le geste musical déployé ici ; fiévreux jusqu’à l’expressionisme, en parfait accord avec la scène, il emporte la victoire.
La discographie de l’œuvre fut à jamais marquée par une incarnation parue dans la version princeps : le Saül de Philippe Huttenlocher. David Witczak relève le gant, admirable au Prologue comme dans sa saisissante scène de fureur, nul doute qu’il a entendu le baryton helvétique et trouvé des voies différentes, mais tout aussi convaincantes, pour exprimer les tourments du roi.
Magnifique de style, élégiaque et ardent à la fois, le David de Reinoud van Mechelen est un autre Orphée, admirablement incarné (dans la discographie, je ne lui trouve qu’un rival, Anders J. Dahlin dans l’enregistrement peu connu de l’Orchestre des Antipodes, nonobstant les qualités de Paul Esswood pour Michel Corboz), touchant le Jonathas fragile de Caroline Arnaud, étonnante Pythonisse selon François-Olivier Jean qui ne fait regretter ni René Jacobs, ni Dominique Visse, plus monstre qu’eux deux.
Mais tous sont emportés dans ce drame par la battue brillante, furieuse, inextinguible de Gaétan Jarry. Et maintenant Médée !
LE DISQUE DU JOUR
Marc-Antoine Charpentier (1643-1704)
David et Jonathas, H. 490
Reinoud Van Mechelen,
ténor (David)
Caroline Arnaud, soprano (Jonathas)
David Witczak, baryton (Saül)
François-Olivier Jean, ténor (La Pythonisse)
Antonin Rondepierre, ténor (Joabel)
Geoffroy Buffière, basse (L’Ombre de Samuel)
Virgile Ancely, basse (Achis)
Juliette Perret, soprano (Une bergère)
Laura Holm, soprano (Une captive)
Marthe Davost, soprano (Une captive)
Blandine de Sansal, mezzo-soprano (Une bergère)
Jeanne Lefort, soprano (Une bergère)
Romain Champion, ténor (Un homme du peuple, Un captif)
François Joron, baryton (Un captif)
Laurent Deleuil, baryton (Un guerrier)
Chœur et Orchestre Marguerite Louise
Gaétan Jarry, direction
Un coffret de 2 CD + 1 DVD + 1 Blu-Ray du label Château de Versailles Spectacles CVS 102
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Photo à la une : le chef Gaétan Jarry – Photo : © DR