Collégialité

Signant Vladimir Ashkenazy au mitan des années 1960, Decca savait que ce jeune prodige dont les premiers sillons Melodiya et HMV avaient défrayé la chronique deviendrait le pilier pianistique de son catalogue. Face à Julius Katchen, qui devait disparaître prématurément en 1969, le jeune Russe affichait un profil plus conquérant ; atout majeur, il apprenait vite et possédait un incroyable talent pour assimiler tous les styles. Quasi soixante années de présence au studio, avec d’ultimes séances consacrées à Bach, mais aussi des infidélités à Decca : ces dernières années, le pianiste comme le chef avait réservé certains projets à Exton, dont un splendide disque d’œuvres pour clavier de Jean Sibelius.

Mais tout ce que Vladimir Ashkenazy enregistra en musique de chambre entre 1963 et 1994 le fut pour le label londonien, commencé par un superbe album à deux pianos avec l’ami Malcolm Frager, Sonate de Mozart, Andante et Variations de Schumann avec le cor de Barry Tuckwell et les violoncelles d’Amaryllis Fleming et de Terence Weil, programme qui illustre la doxa de cette saga : marier le grand répertoire à des opus moins courus. Tout un disque avec Barry Tuckwell, empli de raretés, avec même l’Alphorn de Strauss où les rejoint Marry McLaughlin, le prouve.

Dix ans plus tard, la rencontre au studio avec Itzhak Perlman initiera une collaboration aussi heureuse que fructueuse, commencée par toutes les Sonates de Beethoven, poursuivie chez Brahms, Prokofiev, Ravel, Franck, Debussy, toujours le même alliage de plénitude et d’espressivo sur lequel les années n’auront pas de prise. Seules les Sonates de Mozart auront manqué, Perlman les réservant à Daniel Barenboim pour Deutsche Grammophon.

Lynn Harrell les rejoindra pour des trios et gravera aussi Beethoven, Brahms e altri en Sonates. Cette équipe parfaite atteindra son apogée dans une interprétation survoltée des deux opus de Schubert comme dans le brio teinté d’un brin de nostalgie d’un envoûtant Trio de Ravel.

Autre fil rouge évidemment, les Russes, Chostakovitch (écoutez d’abord les Michelangelo avec John Shirley-Quirk, puis le Quintette), Prokofiev, Stravinski, Rachmaninov surtout, son Trio funèbre, la musique pour deux pianos avec l’ami André Previn (splendides Danses symphoniques, les Suites un peu moins inspirées pour qui aura gardé Ginzburg et Goldenweiser dans l’oreille), et sommet !, les mélodies avec Elisabeth Söderström, poétesse bouleversante.

Les mélodies restent la part la moins connue de ce legs impeccable, qui permet d’entendre le piano d’Ashkenazy mieux enregistré qu’en ses albums solo. La balance est idéale pour les Rachmaninov, pour le disque Sibelius, pour le double album Tchaikovski, pour les mélodies de Chopin, le sommet de sa collaboration avec la soprano suédoise délivrant d’inoubliables Enfantines de Moussorgski. Toujours au rayon vocal, quel plaisir de retrouver le Dichterliebe d’un tout jeune Matthias Goerne, le Frauenliebe und -leben de Barbara Bonney !

Ce sont là les perles les mieux cachées de cet ensemble essentiel resté aussi éclatant qu’à ses premiers jours.

Et maintenant, j’espère une belle boîte avec tous les enregistrements du chef d’orchestre où les disques d’exception abondent, son cycle Sibelius, ses Rachmaninov et sa Cinquième Symphonie de Prokofiev avec le Concertgebouw entre autres…

LE DISQUE DU JOUR

Vladimir Ashkenazy
Complete Chamber Music
& Lieder Recordings

Œuvres de Modest Altschuler, Béla Bartók, Ludwig van Beethoven, Alexandre Borodine, Johannes Brahms, Frédéric Chopin, Dmitri Chostakovitch, Franz Ignaz Danzi, Claude Debussy, Georges Enesco, César Franck, Mikhail Glinka, Alexandre Gretchaninov, Modeste Moussorgski, Wolfgang Amadeus Mozart, Sergei Prokofiev, Sergei Rachmaninov, Maurice Ravel, Camille Saint-Saëns, Franz Schubert, Clara Wieck-Schumann, Robert Schumann, Alexandre Scriabine, Jean Sibelius, Richard Strauss, Igor Stravinski, Karol Szymanowski, Piotr Ilyitch Tchaikovski

Vladimir Ashkenazy, piano
Malcolm Frager, piano
André Previn, piano
Vovka Ashkenazy, piano
Itzhak Perlman, violon
Lynn Harrell, violoncelle
Barry Tuckwell, cor
Jonathan Cohen, clarinette
Elisabeth Söderström, soprano
Barbara Bonney, soprano
John Shirley-Quirk, baryton
etc.

Un coffret de 51 CD du label Decca Records 4853821
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Photo à la une : le pianiste Vladimir Ashkenazy – Photo : © DR