Un pot-pourri ? Un coffre aux trésors. Plongeant dans le continent oublié des 78 tours Decca, Cyrus Meher-Homji aura chargé Ward Marston, Mark Obert-Thorn et Andrew Hallifax de s’atteler à la résurrection de tout un pan oublié du label britannique, celui des enregistrements orchestraux.
Les trois archivistes ont sélectionné des albums de 78 tours aux conditions de préservation optimales, et bénéficié de sources originales qui leur auront permis de surclasser les rééditions moins soignées, notamment en ce qui concerne le pitch et donc la vitesse de rotation des disques, parues sous des étiquettes plus confidentielles.
L’aventure du répertoire orchestral sous étiquette Decca fut d’abord délicate, et principalement britannique. Un mémorable (mais délicat) Sea Drift de Delius inaugurant en 1929 dès les débuts de l’ère acoustique ce qui serait d’abord une ode à la musique anglaise moderne. Longtemps on ne sut pas qui dirigeait cette immense mise en musique du poème de Walt Whitman si puissamment incarné par Roy Henderson (le professeur de Kathleen Ferrier) et un chœur parfois un peu perdu. Anthony Bernard n’était pas le plus efficace des chefs londoniens, mais un musicien certainement. D’ailleurs la pierre d’achoppement était là : les grandes baguettes britanniques étaient trustées par HMV depuis l’aventure couronnée de lauriers de la vaste anthologie des œuvres d’Edward Elgar conduite par le compositeur. Decca répondra en enregistrant un tout jeune William Walton (vingt-sept ans) dirigeant son ébouriffant Façade avec rien moins que Dame Edith Sitwell et Constant Lambert, fabuleux et irrésistible ; Walton sera encore à l’honneur avec la première gravure au disque de sa Première Symphonie sous la baguette de son créateur, Sir Hamilton Harty.
Prise considérable pour augmenter la popularité du label, Sir Henry Wood, le « patron » des Prom’s signait avec son Queen Hall Orchestra tout un programme de musique anglaise, des populaires opus d’Eric Coates à la première version de la London Symphony de Vaughan Williams où l’inventivité technique des ingénieurs du son maison sut faire des merveilles.
Les années trente furent fastueuses, après les aventures de la fin des années vingt, Sir Hamilton Harty gravant certaines de ses plus belles faces (l’Ouverture du Roi Lear de Berlioz !), Mengelberg rejoignant le label pour une fugitive session (splendide Concerto pour deux violons de Bach), Albert Coates distillant volume après volume sa désormais légendaire anthologie de la musique russe (quelle Pathétique !). Tout aussi historique, les sessions londoniennes de Victor de Sabata (flamboyante Eroica) ou celles plus rares de Grzegorz Fitelberg, emportées avec un panache fou, pour ne pas mentionner le brio impertinent des faces enregistrées par Roger Désormière avec le National Symphony (Habanera de Chabrier) auquel Piero Coppola inspirera une stupéfiante lecture de la Première Symphonie de Schumann, rappelant par son exactitude et sa clarté qu’il envisageait tous ses enregistrements avec l’œil du compositeur qu’il était avant tout. Clemens Krauss suivra pour un Tod und Verklärung méphitique.
L’équipe de Decca n’hésitera plus à quitter les bords de la Tamise, captant à Paris d’autres sessions de Roger Désormière et l’amorce de la saga Ansermet non pas à l’OSR mais avec la Société des Concerts du Conservatoire pour une inapprochable Shéhérazade selon Suzanne Danco. Sargent pour Haendel (avec une rare prise alternative d’Ombra mai fù exigée par Kathleen Ferrier), Beinum avec son Philharmonique de Londres (Lieder eines fahrenden Gesellen avec Eugenia Zareska) ou chez lui au Concertgebouw (Septième de Bruckner), Knappertsbusch en mage wagnérien, Erich Kleiber pliant les Londoniens à son art éruptif, Leo Blech si saisissant de présence pour de rares sessions genevoises, le pari était gagné, les grands anciens avaient rejoint Decca qui n’oubliait pas de s’associer les talents nouveaux, ce qu’illustrent un émouvant Tombeau de Couperin selon Jean Martinon ou les premières gravures londoniennes de Sergiu Celibidache.
Le nombre de premières publications officielles en compact disc sous étiquette Decca ne doit pas masquer l’apport essentiel de cette formidable boîte au livret remarquable par l’excellence de ses textes (Peter Quantrill) comme de son iconographie : la qualité certaine des transferts.
Ecoutez la Deuxième Symphonie de Brahms enregistrée par Wilhelm Furtwängler avec l’Orchestre Philharmonique de Londres, tenu pour l’un de ses échecs. Toutes les parutions en CD furent réalisées d’après des copies de microsillon ; Mark Obert Thorn aura effectué son transfert d’après les 78 tours originaux, faisant oublier le son éteint, retrouvant les dynamiques et l’ampleur typique de l’art du chef allemand. Et puis courrez au Deuxième Concerto de Tchaikovski où enfin le piano orchestral d’Eileen Joyce rugit et s’envole !
LE DISQUE DU JOUR
CD 1
Anthony Bernard – New English Symphony Orchestra & Chorus
Oeuvres de Delius et Walton
Sir William Walton – London Symphony Orchestra
Oeuvres de Walton
CD 2
Sir Hamilton Harty – London Symphony Orchestra
Oeuvres de Walton, Haydn et Berlioz
CD 3
Sir Hamilton Harty – London Symphony Orchestra
Oeuvres de Haendel/Harty
Sir Henry Wood – Queen’s Hall Orchestra
Oeuvres de Purcell–Wood et Vaughan Williams
CD 4
Sir Henry Wood – Queen’s Hall Orchestra
Oeuvres de Coates et Elgar
Willem Mengelberg – Concertgebouw Orchestra
Oeuvres de J.S. Bach et Gluck
Albert Coates – London Symphony Orchestra
Oeuvres de Moussorgski
CD 5
Albert Coates – National Symphony Orchestra, London Symphony Orchestra
Oeuvres de Rimski-Korsakov et Tchaikovsky
CD 6
Victor de Sabata – London Philharmonic Orchestra
Oeuvres de Beethoven, Berlioz, Sibelius et Wagner
CD 7
Victor de Sabata – London Philharmonic Orchestra
Oeuvres de Sibelius
Roger Désormière – National Symphony Orchestra, Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire
Oeuvres de Bizet, Chabrier et Debussy
Airs d’opéras de Gounod, Offenbach, Thomas, Proch, Charpentier (récital avec Janine Micheau)
CD 8
Grzegorz Fitelberg – London Philharmonic Orchestra
Oeuvres de Wagner et Tchaikovsky
CD 9
Grzegorz Fitelberg – London Philharmonic Orchestra
Oeuvres de Borodine et Rimski-Korsakov
Wilhelm Furtwängler – London Philharmonic Orchestra
Oeuvres de Brahms
CD 10
Carlo Zecchi – London Philharmonic Orchestra
Oeuvres de Rossini, Pizzetti et Beethoven
Piero Coppola – London Symphony Orchestra
Oeuvres de Grieg
CD 11
Piero Coppola – National Symphony Orchestra
Georges Enesco – London Philharmonic Orchestra
Oeuvres de Schumann
CD 12
Ernest Ansermet – Orchestre de la Société des Concerts du Conservatoire, L’Orchestre de la Suisse Romande
Oeuvres de Debussy et Ravel
CD 13
Clemens Krauss – London Philharmonic Orchestra, London Symphony Orchestra, Orchestra del Teatro alla Scala
Oeuvres de Beethoven, Brahms et Strauss
Paul van Kempen
Oeuvres de Wagner
CD 14
Sir Malcolm Sargent – Royal Choral Society, London Symphony Orchestra
Oeuvres de Haendel
CD 15
Sir Malcolm Sargent – National Symphony Orchestra, London Philharmonic Orchestra
Oeuvres de Haendel/Harty, Holst
Eduard van Beinum – London Philharmonic Orchestra, Concertgebouw Orchestra
Oeuvres de Elgar, Arnold et Britten
CD 16
Eduard van Beinum – London Philharmonic Orchestra, Concertgebouw Orchestra
Oeuvres de Mahler (avec Eugenia Zareska) et Bruckner
CD 17
Hans Knappertsbusch – London Philharmonic Orchestra, Tonhalle-Orchester Zürich, L’Orchestre de la Suisse Romande
Oeuvres de Wagner
CD 18
Erich Kleiber – London Philharmonic Orchestra
Oeuvres de Haendel, Mozart et Beethoven
CD 19
Erich Kleiber – London Philharmonic Orchestra
Oeuvres de Josef Strauss, Johann Strauss fils et Dvořák
Jean Martinon – London Philharmonic Orchestra
Oeuvres de Tchaikovsky (avec Eugenia Zareska), Chabrier et Ravel
CD 20
Leo Blech – L’Orchestre de la Suisse Romande
Oeuvres de Humperdinck et Haydn
Sergiu Celibidache – London Philharmonic Orchestra
Oeuvres de Mozart
CD 21
Sergiu Celibidache – London Philharmonic Orchestra
Oeuvres de Tchaikovsky
Un coffret de 21 CD du label Decca 4812117 (Collection Eloquence Australia)
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Photo à la une : © DR