D’un siècle l’autre

Duel de falsettistes chez Erato. Qui s’en plaindrait ?

Jakub Józef Orliński choisit de s’immerger dans le monde des théâtres vénitiens mais pas seulement. Pourtant Venise est bien l’alpha, comme le proclame la grande scène d’Ottone dont le désespoir amoureux est si saisissant dans le grand soprano ardent du contre-ténor polonais. Le Seicento lui va comme un gant, qui lui permet d’oublier les pyrotechnies virtuoses dont son instrument alerte se régale au profit des lignes si débordantes d’espressivo, où les mots claquent ou caressent.

Découverte de ce nouvel album, conçu à deux plumes par le contre-ténor et Yannis François, Giovanni Cesare Netti. C’est transporter la scène de la lagune à la baie de Naples, vivier des castrats pour Rome ou Venise, et révéler un compositeur dont, si l’œuvre sacrée reste encore introuvable, du moins les cantates pour Rutini ont émergé de la poussière des bibliothèques ; de tout cela, Giovanni Tribuzio nous entretient dans un texte aussi passionnant que trop bref.

Le Napolitain a aussi écrit pour le théâtre, la grande scène de Berillo tiré du deuxième acte de La Filli, saisissante par son expressionnisme, plaide pour l’exhumation de cette œuvre oubliée. Tout le théâtre péninsulaire expose ses feux, ses affects, pour la scène ou pour le concert, au long de cet album où l’émotion le dispute au brio, mais où je reviens toujours à Venise, hanté par la noblesse de l’adresse de Pompée aux Dieux comme Francesco Cavalli l’a notée au deuxième acte de son Pompeo Magno, preuve qu’il faudrait se pencher sur la trilogie romaine du Vénitien plutôt que d’enregistrer une énième version de La Calisto.

Philippe Jaroussky préfère célébrer l’apogée des falsettistes, ces héros de l’opera seria. « Arias oubliées » proclame le tire de l’album. En effet, rien de Porpora dont Max Emanuel Cenčić et ses amis explorent l’œuvre (sous son label Parnassus paraissent successivement Carlo il Cavo et Polifemo, j’y reviendrai bientôt), mais certes des airs de virtuosité.

Le héros caché de ce nouvel opus ? Métastase évidemment, auteur des vers où tous ici auront posé leurs notes flamboyantes. Des raretés, mieux, des introuvables, dont le contre-ténor s’empare avec tout l’art qu’on lui sait et avec les limites que sa voix d’aujourd’hui lui dessine.

Mais toujours cet art de faire paraître des visages derrière des musiques qui voudraient les anonymiser, des émotions au-delà des cruautés de l’écriture, un vrai sens du drame derrière, et même devant les décors. Sommet du disque, les scènes du Demofoonte de Hasse, un compositeur dont tous les ouvrages devraient être revisités, mais qui attend toujours son heure.

LE DISQUE DU JOUR

Beyond

Œuvres de Claudio Monteverdi (ca. 1567-1643), Johannes Hieronymus Kapsberger (1580-1651), Giulio Caccini (1551-1618), Girolamo Frescobaldi (1583-1643), Barbara Strozzi (1619-1677), Francesco Cavalli (1602-1676), Johann Caspar von Kerll (1627-1693), Claudio Saracini (1586-1630), Carlo Pallavicino (ca. 1630-1688), Pietro Paolo Cappellini, Giovanni Cesare Netti (1649-1686), Antonio Sartorio (1630-1680), Biagio Marini (1594-1663, Giuseppe Antonio Bernabei (1649-1732), Adam Jarzębski (ca. 1590-1649), Giovanni Battista Vitali (1632-1692), Carlo Francesco Pollarolo (1653-1723), Sebastiano Moratelli (1640-1706)

Jakub Józef Orliński, contre-ténor
il pomo d’oro
Un album du label Erato 5054197726453
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Forgotten Arias

Œuvres de Andrea Bernasconi (ca.1706-1784), Christoph Willibald Gluck (1714-1787), Niccolò Piccinni (1728-1800), Giovanni Battista Ferrandini (ca.1710-1791), Tommaso Traetta (1727-1779), Michelangelo Valentini (1720-1768), Johann Adolph Hasse (1699-1783), Johann Christian Bach (1735-1782), Niccolò Jommelli (1714-1774)

Philippe Jaroussky, contre-ténor
Le Concert de La Loge
Julien Chauvin, violon, direction
Un album du label Erato 5054197633881
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Photo à la une : le contre-ténor Jakub Józef Orliński –
Photo : © Helene Pambrun