Une Sonate ? Une symphonie. Konstantin Igumnov, découvrant ce fleuve de musique, conseilla à Rachmaninov d’y tailler des allées, ce qu’il fit. Heureusement, Lukas Geniušas préfère rester fidèle à la version princeps que le compositeur avouait « sauvage et longue ». Diabolique surtout, vaste nocturne empli de visions où Rachmaninov épuise le grand meuble, composé à Dresde et fatalement plus russe que russe. Pourquoi ai-je donc toujours entendu dans ses tempêtes une proximité avec la ténèbre busonienne ?
Lukas Geniušas l’entendrait-il aussi, si sombre de jeu, de phrasés, si intensément inquiet dans les replis nocturnes où Rachmaninov suspend le temps, et soudain si violente. Des tempêtes oui, des divagations, tout un univers où le jeune homme raffine un clavier mystérieux, comme hanté.
C’est celui de Rachmaninov, ce grand piano aux sonorités d’orgue que Frederick Steinway offrit au compositeur pour son soixantième anniversaire et qu’il aura joué durant un peu moins de dix ans avant son installation en Californie. Dans le silence de la Villa Senar, Lukas Geniušas fait chanter l’immense Lento, beau sous ses doigts comme du Chopin, avant les torrents de notes de l’Allegro molto, et soudain j’ai le sentiment que la magie opère : Rachmaninov est là, dans sa dimension prométhéenne.
Quatre Préludes de l’Opus 32 font entendre l’orgue de couleur de cet admirable instrument, ajout merveilleux qui ne parvient pas à effacer la puissance obsessionnelle de la grande Sonate.
LE DISQUE DU JOUR
Sergei Rachmaninov
(1873-1943)
Sonate pour piano No. 1
en ré mineur, Op. 28
13 Préludes, Op. 32
(4 extraits : No. 2. Allegretto ;
No. 7. Moderato ; No. 8. Vivo ;
No. 13. Grave)
Lukas Geniušas, piano
Un album du label Alpha Classics 997
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Photo à la une : le pianiste Lukas Geniušas – Photo : © DR