Programme étrange. Bruce Liu s’égare chez Rameau, le jouant sans esprit, lisse, un survol littéralement avec Sauvages affables et Poule picoreuse. Fatalement mieux chez Alkan, pour une Barcarolle effleurée et un Festin d’Ésope dont les grands moyens du pianiste américain ne font qu’une bouchée.
Et Ravel ? Difficile les Miroirs, oserais-je écrire, pour lesquels Bruce Liu ne suit pas l’injonction que lançait Cocteau : les traverser. Il reste à la surface, un peu lisse même dans le chavirement d’Une barque sur l’océan, en doigts d’abord allusifs pour Noctuelles et Oiseaux tristes, mais l’irréalité des premières, l’étrangeté des seconds y sont, comme vus au travers d’un songe.
Son Alborada del gracioso a un style fou, mais cette élégance un peu athlétique est-elle vraiment l’œuvre ? Il faudra attendre la Vallée des cloches purement onirique, très Debussy au fond, pour soudain entendre Bruce Liu aller au-delà de la surface, vers une raréfaction qui rappelle quel musicien se cache derrière ce pianiste de haute volée.
Rendons-lui grâce d’avoir pris ici le risque d’aborder un monde dont il est curieux mais dont les arcanes lui résistent.
LE DISQUE DU JOUR
Jean-Philippe Rameau (1683-1764)
Nouvelles suites de pièces de clavecin, 1728 :
Suite en la mineur, RCT 5 (extrait : VII. Gavotte et six Doubles)
Suite en sol majeur, RCT 6 (extrait : III. Menuet – IV. Deuxième Menuet – V. La Poule – VII. Les Sauvages)
Pièces de Clavessin avec une Méthode pour la Méchanique des Doigts, 1724 :
Suite en ré majeur, RCT 3 (extrait : I. Les Tendres plaintes – VIII. Les cyclopes. Rondeau)
Charles-Valentin Alkan (1813-1888)
Recueil de chants, Op. 65 (extrait : No. 6. Barcarolle)
12 Études dans tous les tons mineurs (extrait : No. 12. Le festin d’Ésope)
Maurice Ravel (1875-1937)
Miroirs, M. 43
Bruce Liu, piano
Un album du label Deutsche Grammophon 4864400
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Photo à la une : le pianiste Bruce Liu – Photo : © Christoph Köstlin