La guerre passée, la question de la Seconde École de Vienne revint hanter une vie musicale allemande dominée par la figure encore charismatique de Paul Hindemith. Les orchestres exsangues peinaient à s’approprier les ouvrages de Schönberg et de ses thuriféraires ; à Stuttgart, Hans Rosbaud le premier constitua, concert et studio radio, une vaste anthologie du trio viennois dont Bruno Maderna (qui dirige ici l’Opus 10 de Webern, en raffinant les mystères colorés) et Pierre Boulez feront bientôt leur miel.
On oublie trop que la RIAS, dès la fin des années quarante, lança son projet « Seconde École de Vienne » : Ferenc Fricsay s’empare dans des tempos acrobatiques de la Kammersymphonie, Op. 9 ou du décalque épicé de la Suite im alten Stil ; Arthur Rother, qu’on aurait tort de croire venu en étranger ici, romantise avec art la Passacaille de Webern, le croyant Winfried Zillig désasséchant le Concerto pour piano de Schönberg pour Peter Stadlen, ce parangon des modernes au sein du RIAS-Symphonie-Orchester.
La somme que réunit ici Audite (et qui s’étend de 1949 au début des années 1960 pour une étreignante Suite lyrique selon les Végh) est prodigieuse et abonde en surprises, d’abord par un Pierrot lunaire infiniment poétique avec la « sprechstimme » d’Irmen Burmester et le petit ensemble mené très lieder par Klaus Billing. Mais comment résister à Suzanne Danco embaumant Le livre des jardins suspendus, surtout à Magda László si poétique dans les Sieben frühe Lieder, poursuivant chez Berg son apostolat des modernes qui la mènera jusqu’à Dallapiccola.
Tout le piano de Schönberg par Steuermann, plus inspiré qu’en son long playing, et surtout plus libre, Gertler et Andersen pour l’Opus 7 de Webern, la Fantaisie de Schönberg si éloquente par Tibor Varga et Ernst Krenek face à la lecture plus âpre du même opus par Rudolf Kolisch et Alan Willman : toutes les facettes des répertoires des trois Viennois sont illustrées, jusqu’aux Valses de Johann Strauss fils selon Schönberg et Webern par Klaus Billing et quelques amis.
Merveille qui résume le projet, Evelyn Lear quitte Marie et Lulu pour donner l’une après l’autre les deux mises en musique de Schliesse mir die Augen beide de Storm par Berg, distantes de dix-huit ans, deux mondes si différents et si proches pourtant.
LE DISQUE DU JOUR
The RIAS Second Viennese School Project
Berlin, 1949-1965
CD 1
Arnold Schönberg
(1874-1951)
Pierrot Lunaire, Op. 21
Irmen Burmester, sprechgesang – Klaus Billing, piano – Hans Peter Schmitz, flûte, piccolo – Alfred Bürkner, clarinette, clarinette-basse – Hans Bastiaan, violon – Walter Müller, alto – Werner Haupt, violoncelle
Josef Rufer, direction (1949)
Kammersymphonie pour 15 instruments, Op. 9
Musiciens du RIAS-Symphonie-Orchester – Ferenc Fricsay, direction (1953)
Concerto pour piano et orchestre, Op. 42
Peter Stadlen, piano – RIAS-Symphonie-Orchester – Winfried Zillig, direction (1949)
CD 2
Arnold Schönberg (1874-1951)
Fantaisie pour violon et piano, Op. 47
Tibor Varga, violon – Ernst Krenek, piano (1951)
15 Gedichte aus « Das Buch der hängenden Gärten » de Stefan George, Op. 15
Suzanne Danco, soprano – Hermann Reutter, piano (1955)
Psaume 130, Op. 50B (De profundis clamavi)
RIAS-Kammerchor – Günther Arndt, direction (1958)
3 Klavierstücke, Op. 11
6 kleine Klavierstücke, Op. 19
5 Klavierstücke, Op. 23
Eduard Steuermann, piano (1963)
2 Klavierstücke, Op. 33
Else C. Kraus, piano (1951)
CD 3
Arnold Schönberg (1874-1951)
Trio à cordes, Op. 45
Erich Röhn, violon – Ernst Doberitz, alto – Arthur Troester, violoncelle (1957)
Suite im alten Stile, pour cordes
Berliner Philharmoniker – Ferenc Fricsay, direction (1949)
Alban Berg (1885-1935)
Suite Lyrique (version pour quatuor à cordes)
Quatuor Végh, piano (1963)
4 Stücke pour clarinette et piano, Op. 5
Heinrich Geuser, clarinette – Klaus Billing, piano (1953)
CD 4
Alban Berg (1885-1935)
7 frühe Lieder (version avec piano)
Magda László, soprano – Lothar Broddack, piano (1958)
Schließe mir die Augen beide (2 versions, 1907, 1925)
Evelyn Lear, soprano – Hans Hilsdorf, piano (1960)
Anton Webern (1883-1945)
Passacaglia, Op. 1
Radio-Symphonie-Orchester Berlin – Arthur Rother, direction (1965)
5 Stücke pour orchestre, Op. 10
Radio-Symphonie-Orchester Berlin – Bruno Maderna, direction (1961)
4 Stücke pour violon et piano, Op. 7
André Gertler, violon – Diane Andersen, piano (1958)
Johann Strauss II (1825-1899)
Rosen aus dem Süden. Valse, Op. 388 (arr. Schönberg)
Schatz-Walzer, Op. 418 (arr. Webern)
Bastiaan Quartett – Emil Hammermeister, harmonium – Klaus Billing, piano (1950)
Arnold Schönberg (1874-1951)
Fantaisie pour violon et piano, Op. 47
Rudolf Kolisch, violon – Alan Willman, piano (1953)
Un coffret de 4 CD du label Audite 21412
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Photo à la une : le chef d’orchestre Ferenc Fricsay – Photo : © Max Jacoby/Deutsche Grammophon