Danse funèbre

Que l’on ne croit pas le titre de ce papier. L’œuvre la plus ouvertement noire de ce disque que l’on classera à Ravel est emporté dans un clavier absolument solaire, dont les vertiges érotiques, les grands gestes d’un piano absolument orchestral, ne danseront jamais au bord d’un volcan. Cette Valse n’est pas un monde qui s’effondre, mais un pur spectacle esthétique où les canons de l’art de Ravel sont magnifiés par un jeu athlétique absolument clouant. La lettre oui, et c’est rare de l’entendre à ce point réalisée dans une partition où les chausse-trappes abondent, mais l’esprit aussi sans le tragique.

Le tragique, vous le trouverez masqué dans un émouvant Tombeau de Couperin, tout en apartés, phrasé avec une imagination de tous les instants, dansé (le Rigaudon est leste, les ornements de la partie centrale faisant vraiment paraître Couperin) mais surtout ému (la Forlane, hors du temps, belle à pleurer). Ce tragique affleurera dans l’assombrissement du Menuet, moment saisissant, et sera à peine suggéré dans une Pavane pour une infante défunte admirablement tenue.

La variété du toucher, la présence d’une main gauche diseuse, le grand son mis à Rameau ou Couperin laissent espérer que Martin James Bartlett reviendra aux clavecinistes français qu’il entend avec bien plus d’art qu’un certain confrère plus chenu, mais l’autre merveille du disque, plus encore que la face Ravel, plus que l’Arabesque de Debussy qui sous ses doigts a un petit côté Clair de lune, ce sont bien les deux pièces tirées du Ruban dénoué où le rejoint l’ami Alexandre Tharaud, romance nostalgique des Décrets indolents du hasard, petit contredanse anisée des Soirs d’Albi, perles tirées d’un cycle de valses merveilleux tout juste enregistré dans son intégralité par Eric Le Sage et Frank Braley (voir ici).

LE DISQUE DU JOUR

La Danse

Jean-Philippe Rameau
(1683-1764)
Gavotte et six doubles
(No. 7, extrait de la « Suite en la mineur, RCT 5 »,
des « Nouvelles suites de pièces de clavecin, 1727 »)

François Couperin
(1668-1733)
Les Barricades mystérieuses (No. 5, extrait de l’« Ordre VI », du
« Second livre de pièces de clavecin, 1717 »)

Maurice Ravel (1875-1937)
Le Tombeau de Couperin, M. 68
Pavane pour une infante défunte, M. 19
La Valse, M. 72 (version pour piano deux mains)
Reynaldo Hahn (1874-1947)
Le ruban dénoué (2 extraits : No. 1. Décrets indolents du hasard ;
No. 2. Les soirs d’Albi)
*

Claude Debussy (1862-1918)
Arabesque No. 1, CD 74/1. Andantino con moto

Martin James Bartlett, piano
*Alexandre Tharaud, piano

Un album du label Warner Classics 5054197896804
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Photo à la une : le pianiste Martin James Bartlett –
Photo : © Paul Marc Mitchell