Alexandre Tsfasman, vous connaissez ? Qui aurait pu croire que cet élève de Felix Blumenfeld aurait installé avec tant de brio le jazz sur les bords de la Volga ? Dans le chaos des années vingt et trente, enjambant le second conflit mondial, et jusque dans les glacis des débuts de la Guerre froide, Tsfasman, avec opiniâtreté, composa de merveilleuses pièces et autant de songs d’une débordante vitalité, ce que le Kremlin ne regarda pas d’un si mauvais œil : après tout, c’était marcher avec talent sur des brisées qui ne devaient pas appartenir qu’aux Yankees. Irrésistible la Suite de jazz !
De cette parenthèse enchantée, dont découlera l’art d’un Nikolai Kapustin, Ludmila Berlinskaïa et Arthur Ancelle se sont approprié quelques opus brillamment transcrits par Igor Tsyganskov et pour quatre délicieux songs où l’humour s’ourle d’un peu de conga et d’une pointe à peine perceptible de nostalgie (c’est le talent des interprètes), par le pianiste lui-même.
Depuis cet album, l’astre de Tsfasman recommence à briller : Mikhail Pletnev a donné à Verbier la Suite pour piano et orchestre (Deutsche Grammophon). Belle idée de marier le juif russe avec le juif américain, Gershwin étant évidemment l’inspiration première du swing décomplexé qui emporte Toujours avec toi où passe comme le souvenir du brio ivre d’Art Tatum. Splendide, l’éclaboussante paraphrase de Gregory Stone sur The Man I Love, et que de piments dans l’air de Sportin’ Life (Porgy and Bess).
Si vous trouvez ce CD, n’hésitez pas. Melodiya ayant subi la guerre de cet imbécile de Poutine, le disque eut à peine le temps d’être diffusé de l’autre côté du nouveau « Rideau de fer ».
L’album français publié par Alpha Classics, le nouvel éditeur de mon duo pianistique favori (lisez le beau texte d’Arthur Ancelle), sera plus aisément accessible. Les espiègleries tour à tour claironnantes ou tendres de Jeux d’enfants, la fantaisie très Île-de-France de la Petite suite où le jeune Debussy paie son tribut à Chabrier – écoutez le galbe donné à En bateau, ce petit balancement qui chavire et ce faune au loin qui, déjà, rit -, les tendresses de Dolly et l’entrain si irrésistible de son Pas espagnol envolé ici avec un tel brio, la rare Feuille d’Images de Louis Aubert, emplies d’ailleurs sonores, compositeur rare que nos pianistes chérissent avec raison (ils avaient déjà gravé la Suite), tous, aussi formidables soient-ils, doivent céder le pas devant leur Ma mère l’Oye, cette Pavane de la Belle au bois dormant si triste, ce Petit Poucet rebroussant chemin si vite, ces Pagodes de grand théâtre avec en leur centre un mystère, ce Jardin onirique, tous sertissant cette valse effleurée des Entretiens de la Belle et de la Bête, noble et sentimentale juste comme il faut.
LE DISQUE DU JOUR
George Gershwin
(1898-1937)
The Man I Love, extrait de « Lady, Be Good » (arrangement en paraphrase : Gregory Stone)
’S Wonderful, extrait de l’Acte I de « Funny Face » (version pour 2 pianos : Paul Posnak)
But Not for Me, extrait de l’Acte II de « Girl Crazy » (version pour 2 pianos : Paul Posnak)
Someone to Watch Over Me, extrait de l’Acte II de « Oh, Kay! » (version pour 2 pianos : Paul Posnak)
It Ain’t Necessarily So, extrait de l’Act II, scène 2 de « Porgy and Bess » (version pour 2 pianos : Paul Posnak)
3 Préludes (version pour 2 pianos : Gregory Stone)
Alexander Tsfasman (1906-1971)
Suite de jazz (version pour 2 pianos : Igor Tsygankov)
Attente. Chanson (version pour 2 pianos : Arthur Ancelle)
Une soirée joyeuse (version pour 2 pianos : Ancelle)
Doigts dansants (version pour 2 pianos : Ancelle)
Toujours avec toi (version pour 2 pianos : Ancelle)
Fantaisie sur « The Man I Love » de Gershwin (version pour 2 pianos : Igor Tsygankov)
Ludmila Berlinskaïa, piano
Arthur Ancelle, piano
Un album du label Melodiya MELCD1002564
Acheter l’album sur Amazon.fr ― Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com
Passage secret
Georges Bizet (1838-1875)
Jeux d’enfants, GB 142 (version intégrale pour piano quatre mains)
Claude Debussy (1862-1918)
Petite suite, CD 71
Gabriel Fauré (1845-1924)
Dolly – Suite, Op. 56
Maurice Ravel (1875-1937)
Ma mère l’Oye, M. 60 (version originale pour piano quatre mains)
Louis Aubert (1877-1968)
Feuille d’images
Ludmila Berlinskaïa, piano
Arthur Ancelle, piano
Un album du label Alpha Classics 1024
Acheter l’album sur le site du label Alpha Classics ou sur Amazon.fr ― Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com
Photo à la une : les pianistes Ludmila Berlinskaïa et Arthur Ancelle – Photo : © Nathanael Charpentier