Michael Tippett se cherchait à l’opéra ; quelques ouvrages brefs portés par l’univers des folksongs, d’autres tout aussi courts à destination des têtes blondes, finalement ce sera encore un enfant qui servira d’objet à son premier coup de génie, Henschel Grynsbam, ce gamin juif qui assassina à Paris en 1938 un membre de l’ambassade du Reich : A Child of Our Time, protestation pacifique, composé pendant la guerre, révèlera le génie de Tippett qui venait de passer la quarantaine.
Il était temps de revenir à la scène. Impossible de se décider quant au livret, T. S. Eliot lui rappela la clef qu’il lui avait donnée pour A Child of Our Time : écrire son propre texte. Ce sera une parabole sur l’amour contrarié entre Mark et Jenifer qui se résoudra par la délivrance des conventions sociales et une élévation spirituelle apaisant les tensions au sein du couple.
Les épreuves qui jalonnent le parcours initiatique du couple ne sont pas sans rappeler celles de Tamino et de Pamina, l’autre couple miroir, Jack et Bella, se souvenant avec humour de Papageno et Papagena. À la fin des trois actes, l’union semble possible sinon réalisée (la voyante Sosostris l’a aperçue dans sa transe) : Jenifer accepte l’anneau que Mark lui offre avant qu’ils ne s’éloignent vers le soleil levant.
L’alliage de symbolisme et de psychologie porte l’empreinte de l’univers de Jung dont Tippett était devenu un fervent lecteur, suivant encore en cela les conseils d’Eliot. La rédaction, texte et musique, l’occupera de 1946 à 1952, Covent Garden en assurant la création le 27 janvier 1955, assemblant sous la direction de Sir John Pritchard une distribution éclatante où le Mark de Richard Lewis répondait à la Jenifer de Joan Sutherland, étoile montante de la scène londonienne (l’enregistrement capté par la BBC existe, et a été publié par Gala).
Las ! critique et public boudèrent ce grand opéra à l’intrigue complexe et aux débordements musicaux spectaculaires, d’abord à cause du livret. C’était ne pas entendre le saisissant geste musical qu’y déployait Tippett, répondant à celui antérieur de dix ans du Peter Grimes de Benjamin Britten, et ne pas voir qu’avec cette partition éclatante le compositeur de A Child of Our Time allait s’imposer comme un acteur majeur de la scène lyrique anglaise, l’ancrant dans une modernité d’action déjà présente dans l’univers syncrétique de ce Midsummer Marriage, avec ses businessmen et ses prêtres, contemporanéité que The Knot Garden allait sacraliser.
L’ouvrage ne survécut que par la Suite de danses tirée par le compositeur pour les concerts symphoniques, Covent Garden tenta une reprise en 1968 sous la direction de Sir Colin Davis (Philips en édita la captation, elle a été rééditée chez Lyrita), sans rencontrer le succès qui finalement sera établi par la production de l’Opéra National du Pays de Galles en 1979. Il faudrait un jour publier les échos de la reprise voulue par Bernard Haitink à Covent Garden en 1986.
Edward Gardner aura redonné toutes ses chances à ce somptueux opéra, en assemblant une distribution idéale, avec la Jenifer grand teint de Rachel Nicholls face au Mark plus ténébreux qu’à l’habitude de Robert Murray, Toby Spence se glissant avec poésie et humour dans le rôle de Jack face à la Bella mutine de Jennifer France, mais tous seraient à citer, du King Fischer d’Ashley Riches à la voyante de Claire Barnett-Jones.
Avantages décisifs pour la nouvelle version, le chœur, immense comme le voulait Tippett – il est omniprésent au long des trois actes – mais aussi la perfection de la mise au point générale, inédite pour un ouvrage jusque-là capté en scène : on entend enfin toute la plénitude de cette œuvre unique dont Edward Gardner a su saisir le singulier génie : l’enthousiasme du public le prouve.
LE DISQUE DU JOUR
Michael Tippett (1905-1998)
The Midsummer Marriage
Robert Murray, ténor
(Mark)
Rachel Nicholls, soprano
(Jenifer)
Ashley Riches, baryton-basse (King Fisher)
Jennifer France, soprano (Bella)
Toby Spence, ténor (Jack)
Claire Barnett-Jones, mezzo-soprano (Sosostris)
Susan Bickley, mezzo-soprano (She-Ancient)
Joshua Bloom, basse (He-Ancient)
John Findon, ténor (Dancing Man)
Paul Sheehan, baryton-basse (Half-Tipsy Man)
Robert Winslade Anderson, basse (A Man)
Sophie Goldrick, mezzo-soprano (A Girl)
London Philharmonic Choir
English National Opera Chorus
London Philharmonic Orchestra
Edward Gardner, direction
Un coffret de 3 CD du label LPO Live LPO-014
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Photo à la une : le chef d’orchestre Edward Gardner –
Photo : © Dan Neegaard