Le titre du papier ne veut pas paraphraser Goethe, dont le « Mehr Licht » avait une portée métaphysique. Chez Neville Marriner la lumière était à la fois une philosophie – rendre tout le texte et rien que le texte – et une politesse : faire tout sonore et accessible, aux auditeurs de ses concerts comme à ceux de ses disques. Dans l’océan de sa discographie partagée entre Argo, Decca, Capriccio, a-t-on jamais considéré que la somme engagée pour EMI équilibrait l’âge d’or de ses gravures Philips, et même aujourd’hui, alors que Warner y associe les albums parus sous étiquette Virgin, Erato ou Angel, quasiment en nombre ?
Dans ce grand coffret on ira de surprises en surprises. Prenez simplement l’accompagnateur : une floppée de disques solaires avec Maurice André aura fait oublier l’album avec le formidable John Wilbraham, le « trumpet solo » des phalanges londoniennes et aussi de l’Academy : écoutez son Concerto de Haydn. Côté pianiste, il aura réussi le tour de force de déboutonner Rudolf Buchbinder pour un étonnant 22e de Mozart, et trouvé le ton juste pour mettre en valeur la poésie ardente du jeune Till Fellner : leurs 2e et 3e de Beethoven appelaient une intégrale qui demeura inachevée hélas. Toujours chez Mozart, parfait guide pour Christian Zacharias certes au point qu’EMI Classics lui offrira de revenir aux grandes Symphonies : le geste sera plus large que pour Philips, la tension moindre, le brio laissant place à une sérénité supplémentaire. Mozart reste la pierre angulaire de cette moisson – écoutez le disque des Vêpres, la Concertante avec Anne-Sophie Mutter et Bruno Giuranna, l’album des Ouvertures – mais les marges sont plus piquantes.
Réécouter l’enthousiasme qu’il met à ses Bach déjugés à l’époque de la révolution baroque (alors même qu’il fréquentait assidument la « bande à Munrow », un LP de divers concertos pour flûte à bec le rappelle), ce Messie en allemand avec une divine Lucia Popp, cette Création de Haydn saisissante à force de clarté, tout cela est encore du répertoire « convenu » : les Uccelli de Respighi, les pièces d’orchestres tirés des opéras d’Ermanno Wolf-Ferrari déjà moins, l’album Tippett, la Petite symphonie concertante de Frank Martin, une formidable proposition pour le Façade de Walton, quasi oubliée (pourtant, Fenella Fielding, Michael Flanders !), ce Peer Gynt de Grieg où on ne l’attendait pas si dramaturge (la Solveig de Lucia Popp l’aide) sont autant de saillies dans un univers qu’on juge trop univoque.
Le sommet de l’ensemble est pourtant chez Haydn : six grandes Messes et la petite Orgelmesse enregistrées avec la Staatskapelle de Dresde ; il en manquera toujours deux, le projet ayant avorté paradoxalement après la chute du Mur de Berlin.
Deux clefs supplémentaires : écoutez comment Sir Neville Marriner accompagne ceux qui jouent son instrument, le violon : le disque avec Josef Suk, Rondos et Romances de Mozart, Beethoven et Schubert, pur gemme, où encore ce Concerto de Beethoven si lyrique sous l’archet diseur de Dmitri Sitkovetsky.
Puis, faites deux pas de côté, l’un pour son spectaculaire Pulcinella (avec Yvonne Kenny !), l’autre pour son disque Copland, Appalachian Spring, Rodeo, El Salon Mexico, un tel brio, tant d’esprit et de poésie alliés rappellent ses années heureuses à la tête du Minnesota Orchestra.
Décidément, le portrait est complet, jusque dans les disques vocaux où se succèdent Helen Donath, Elly Ameling, Kathleen Battle, Amanda Roocroft, Lucia Popp (pour des viennoiseries), Janet Baker, et Heather Harper, toujours inoubliable dans Les Illuminations de Benjamin Britten.
LE DISQUE DU JOUR
Sir Neville Marriner
The Complete Warner Classics Recordings, 1970-2000
Œuvres de Marc-Antoine Charpentier, Johann Sebastian Bach, Antonio Vivaldi, Georg Friedrich Haendel, Alessandro Scarlatti, Tommaso Albinoni, Giuseppe Tartini, Georg Philipp Telemann, Henry Purcell, Gottfried Heinrich Stölzel, Giuseppe Sammartini, Franz Joseph Haydn, Giovanni Punto, Wolfgang Amadeus Mozart, Ludwig van Beethoven, Franz Schubert, Luigi Cherubini, Johann Christoph Förster, Carl Maria von Weber, Leopold Mozart, Gioacchino Rossini, Franz von Suppé, Edvard Grieg, Felix Mendelssohn Bartholdy, Henry Vieuxtemps, Georges Bizet, Sir Edward Elgar, Manuel de Falla, Ottorino Respighi, Ermanno Wolf-Ferrari, Frank Martin, Ernest Bloch, Igor Stravinski, Benjamin Britten, Aaron Copland, Sir William Walton, Michael Tippett, Richard Wagner, Antonín Dvořák, Gabriel Fauré, Piotr Ilyitch Tchaikovski, Ralph Vaughan Williams, Debbie Wiseman, etc.
Elly Ameling, soprano
Kathleen Battle, soprano
Barbara Hendricks, soprano
Amanda Roocroft, soprano
Lucia Popp, soprano
Yvonne Kenny, soprano
Helen Donath, soprano
Heather Harper, soprano
Dame Janet Baker, mezzo-soprano
Robert Tear, ténor
etc.
Andrei Gavrilov, piano
Christian Zacharias, piano
Rudolf Buchbinder, piano
Till Fellner, piano
Cécile Ousset, piano
Anne-Sophie Mutter, violon
Josef Suk, violon
Dmitri Sitkovetsky, violon
Lynn Harrell, violoncelle
Heinrich Schiff, violoncelle
Maurice André, trompette
John Wilbraham, trompette
Barry Tuckwell, cor
David Pyatt, cor
John Harle, saxophone
Academy of St. Martin-in-the-Fields
Radio-Sinfonieorchester Stuttgart
Staatskapelle Dresden
London Symphony Orchestra
Northern Sinfonia
Los Angeles Chamber Orchestra
Minnesota Orchestra
Sir Neville Marriner, direction
Un coffret de 80 CD du label Warner Classics 5054197762765
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Photo à la une : le chef d’orchestre Sir Neville Marriner –
Photo : © Alistair Morrison/Warner Classics