En 1933, des membres zélés de la jeunesse hitlérienne firent irruption dans l’Opéra de Cologne, subtilisant à William Steinberg sa baguette alors qu’il dirigeait la création de Der Fächer d’Ernst Toch. Trois ans plus tard, après un détour dans le futur état d’Israël dont il fonde l’orchestre symphonique, bonjour les Etats-Unis, adieux le Vieux monde, qu’il retrouvera après-guerre, revenant entre autres dans sa chère Cologne pour quelques concerts légendaires heureusement documentés.
La carrière américaine de ce juif allemand fut flamboyante, commencée avec fracas à New York, poursuivie par un magister fabuleux à Pittsburgh dont il fera, succédant à Fritz Reiner, une phalange majeure : vingt-trois années d’une collaboration exemplaire, d’abord saisie par les ingénieurs de Capitol, avant que Thomas Fine et Robert Fine n’imposent, le premier son expertise artistique, le second sa transcendante technique de captation pour le label Command. On était au mi-temps des années soixante, la stéréophonie exigeait de nouvelles gravures du grand répertoire, Robert Fine assura William Steinberg qu’il enregistrerait ce qu’il désirait, et même des intégrales des Symphonies de Beethoven et de Brahms, parts fondatrices d’un répertoire qu’il n’avait qu’effleurées pour Everest puis Capitol.
Ces deux cycles furent édités en CD voici peu (voir ici pour Beethoven et Brahms), prémices d’une boîte qui devait rassembler tous les autres LP de cette aventureuse période. Les voici.
Courrez à Pétrouchka, vrai pantomime sonore saisie avec une acuité sidérante : cette baguette qui sait dessiner, graver, peindre est unique, cela s’entend avec autant d’acuité dans un album Copland devenu légendaire, preuve de la versatilité stylistique dont William Steinberg avait fait l’un de ses atouts : Billy the Kid est irrésistible, comme côté Gershwin cet American in Paris ou le Symphonic Picture tiré par Robert Russell Bennett de Porgy and Bess. Perle oubliée de l’ensemble ? Les Valses nobles et sentimentales de Ravel, écoutez seulement.
Des Schubert lumineux font regretter qu’on n’ait de lui peu de Mozart (la 40e Symphonie à Pittsburgh, la Gran Partita avec les souffleurs de Los Angeles, Capitol). Le disque Wagner rappelle quel chef de fosse il fut (hélas peu documenté), une fusante 2e Symphonie de Rachmaninov, des Tchaïkovski (trop ?) impeccables jusque dans l’humour (quel « fini » dans la Suite de Casse-noisette) ne doivent pas faire oublier une 7e Symphonie de Bruckner sans pathos, fluide, comme hypnotique.
Bruckner allait devenir, autant que Gustav Mahler, l’objet de sa maturité. Passé sous étiquette RCA à l’occasion de sa prise de poste à Boston, une Sixième Symphonie le prouve par ses phrasés singuliers, sa maîtrise du temps, ses couleurs d’orgue (cherchez aussi en concert sa Huitième éditée par ICA (DVD), toutes qualités qui magnifient une 9e de Schubert pas loin d’être historique.
Un disque de pièces brèves – L’Apprenti sorcier, Till Eulenspiegel, à tomber à la renverse – conclut une série qui se poursuivra chez Deutsche Grammophon avec trois albums devenus légendaires. À l’occasion de cette première édition en CD de la première partie de « l’héritage Boston » paraissent pour la première fois le Scherzo de l’Octuor de Mendelssohn et le Scherzo fantastique de Stravinski (une rareté alors, génial) resté inédits, l’éditeur ayant soin d’inclure les compléments apportés pour combler le microsillon par Seiji Ozawa, la Danse russe de Pétrouchka (Michael Tilson Thomas au piano, et deux pages d’Háry János selon Erich Leinsdorf.
Ajout plus conséquent, le disque Dvořák (Symphonie « du Nouveau Monde », Carnaval) enregistré durant le règne de William Steinberg par Arthur Fiedler, qui mériterait bien une grande boîte Sony/RCA, Erich Leinsdorf itou !
Au chapître Steinberg, restent, inédites en CD d’après les bandes originales, les gravures pour ASCAP Records avec Pittsburgh datant des années cinquante, Symphonie de psaumes, Musique pour cordes, percussions et célesta, 5e Symphonie d’Arthur Honegger, Protée de Darius Milhaud, Concerto à la mémoire d’un ange (avec Szymon Goldberg), Première<:em> des Bachianas Brasileiras, Sérénade de Britten, A Lincoln Portrait de Copland entre autres, il semble que tout cela soit versé au fond Warner qui serait bien inspiré de les réunir dans un forte boîte avec le legs Capitol, ajoutant le premier enregistrement de William Steinberg, 28 décembre 1928, étiquette Parlophone : le Concerto de Tchaïkovski avec Bronislaw Huberman et la Staaskapelle de Berlin, écho d’un paradis à jamais perdu.
LE DISQUE DU JOUR
William Steinberg
&
Pittsburgh Symphony
Orchestra
The Complete Command Classics Recordings
CDs 1-5
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Les Symphonies (Intégrale)
No. 1 en do majeur, Op. 21
No. 3 en mi bémol majeur, Op. 55 « Eroica »
No. 2 en ré majeur, Op. 36
No. 4 en si bémol majeur, Op. 60
Ouverture « Leonore III », Op. 72b
No. 5 en ut mineur, Op. 67
No. 6 en fa majeur, Op. 68 « Pastorale »
No. 7 en la majeur, Op. 92
No. 8 en fa majeur, Op. 93
No. 9 en ré mineur, Op. 125 « Chorale »
Ella Lee, soprano – Joanna Simon, mezzo-soprano – Richard Kness, ténor –
Thomas Paul, basse – The Mendelssohn Choir of Pittsburgh
CDs 6-8
Johannes Brahms (1833-1897)
Les Symphonies (Intégrale)
No. 1 en ut mineur, Op. 68
No. 2 en ré majeur, Op. 73
No. 3 en fa majeur, Op. 90
No. 4 en mi min, Op. 98
Ouverture tragique, Op. 81
CD 9
Anton Bruckner (1824-1896)
Symphonie No. 7 en mi majeur, WAB 107 (Edition Nowak)
Ouverture en sol mineur, WAB 98
Richard Wagner (1813-1883)
Eine Faust-Ouvertüre, WWV 59
CD 10
Aaron Copland (1900-1990)
Billy the Kid – Suite pour orchestre
Appalachian Spring – Suite pour orchestre
George Gershwin (1898-1937)
An American in Paris
CD 11
George Gershwin (1898-1937)
Porgy and Bess – A Symphonic Picture (arr. Russell Bennett)
Frederick Loewe (1901-1988)
My Fair Lady – A Symphonic Picture (arr. Russell Bennett)
Richard Rodgers (1902-1979)
The Sound of Music – A Symphonic Picture (arr. Russell Bennett)
CD 12
Sergei Rachmaninov (1873-1943)
Symphonie No. 2 en mi mineur, Op. 27
CD 13
Franz Schubert (1797-1828)
Symphonie No. 8 en si mineur, D. 759 « Inachevée »
Symphonie No. 3 en ré majeur, D. 200
CD 14
Igor Stravinski (1882-1971)
Pétrouchka (Scènes burlesques en quatre tableaux), K012 (version 1947)
Dmitri Chostakovitch (1906-1975)
Symphonie No. 1 en fa mineur, Op. 10
CD 15
Piotr Ilyitch Tchaïkovski (1840-1893)
Symphonie No. 4 en fa mineur, Op. 36
Casse-noisette – Suite op. 71a
CD 16
Giuseppe Verdi (1813-1901)
Quatuor à cordes en mi mineur (orchestration : William Steinberg)
Hector Berlioz (1803-1869)
La Damnation de Faust, Op. 24, H 111 – Marche hongroise
(Marche de Rákóczy)
Antonín Dvořák (1841-1904)
Scherzo capriccioso en ré bémol majeur, Op. 66, B. 131
Georges Bizet (1838-1875)
Jeux d’enfants, Op. 22, GB 142 – Suite pour orchestre
(2 extraits : No. 4. Duo. Petit mari, petite femme ; No. 5. Galop. Le bal)
Camille Saint-Saëns (1835-1921)
Suite algérienne, Op. 60, R. 173 (extraits : IV. Marche militaire française)
Maurice Ravel (1875-1937)
Valses nobles et sentimentales, M. 61 (version orchestrale)
Johann Strauss fils (1825-1899)
Perpetuum mobile, Op. 257
Tritsch-Tratsch-Polka, Op. 214
CD 17
Richard Wagner (1813-1883)
Die Meistersinger von Nürnberg, WWV 96 – Prélude du 1er Acte
Lohengrin, WWV 75 – Prélude du 3è Acte
Der fliegende Holländer, WWV 63 – Ouverture
Rienzi, WWV 49 – Ouverture
Die Walküre, WWV 86B – Chevauchée des Walkyries ; Enchantement
du feu
Das Rheingold, WWV 86A – Entrée des Dieux dans le Valhalla
Götterdämmerung, WWV 86D – Lever du soleil et Voyage de Siegfried sur le Rhin ; Mort de Siegfried et marche funèbre
Pittsburgh Symphony Orchestra
William Steinberg, direction
Un coffret de 17 CD du label Deutsche Grammophon 0028948644442
Acheter l’album sur le site du label Deutsche Grammophon ou sur Amazon.fr
William Steinberg
&
Boston Symphony
Orchestra
The Complete RCA Victor Recordings
CD 1
Franz Schubert (1797-1828)
Symphonie No. 9 en ut majeur, D. 944 « La Grande »
Boston Symphony Orchestra – William Steinberg, direction
CD 2
Anton Bruckner (1824-1896)
Symphonie No. 6 en la majeur, WAB 106
Boston Symphony Orchestra – William Steinberg, direction
CD 3
Paul Dukas (1865-1935)
L’Apprenti sorcier
Richard Strauss (1864-1949)
Till Eulenspiegels lustige Streiche, Op. 28, TrV 171
Felix Mendelssohn Bartholdy (1809-1847)
Octuor à cordes en mi bémol majeur, Op. 20, MWV R20 (extrait : III. Scherzo ; version pour orchestre : Steinberg)
Camille Saint-Saëns (1835-1921)
Danse macabre, Op. 40, R. 171
Igor Stravinski (1882-1971)
Scherzo fantastique, Op. 3, K005
Scherzo à la russe, K070
Boston Symphony Orchestra – William Steinberg, direction
Igor Stravinski (1882-1971)
Pétrouchka – Danse russe
Michael Tilson Thomas, piano – Boston Symphony Orchestra –
Seiji Ozawa, direction
Zoltán Kodály (1882-1967)
Háry János (2 extraits : II. L’horloge musicale viennoise ; VI. Entrée de l’Empereur et de sa cour)
Boston Symphony Orchestra – Erich Leinsdorf, direction
CD 4
Antonín Dvořák (1841-1904)
Symphonie No. 9 en mi mineur, Op. 95, B. 178 « Du Nouveau monde »
Carnaval, Op. 92, B. 169
Boston Symphony Orchestra – Arthur Fiedler, direction
Un coffret de 4 CD du label RCA/Sony Classical 19658829882
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Photo à la une : le chef d’orchestre William Steinberg – Photo : © Archives du Pittsburgh Symphony Orchestra