Joueurs de tennis

Les raffinements de sensualité que Debussy déploya dans Jeux – accessoirement l’autre révolution d’orchestre du XXe siècle avec Le Sacre du printemps, son strict contemporain – ont un sujet : une partie de tennis à la tombée du jour.

Nijinski en a détaillé l’argument : « Dans un parc au crépuscule, une balle de tennis s’est égarée ; un jeune homme, puis deux jeunes filles s’empressent à la rechercher. La lumière artificielle des grands lampadaires électriques qui répand autour d’eux une lueur fantastique leur donne l’idée de jeux enfantins ; on se cherche, on se perd, on se poursuit, on se querelle, on se boude sans raison ; la nuit est tiède, le ciel baigné de douces clartés, on s’embrasse. Mais le charme est rompu par une autre balle de tennis jetée par on ne sait quelle main malicieuse. Surpris et effrayés, le jeune homme et les deux jeunes filles disparaissent dans les profondeurs du parc nocturne. »

Tant de chefs seront tombés dans les pièges voluptueux de cet orchestre, s’en enivrant, d’autres s’en seront tenu à la narration, marier les deux a toujours induit une énigme que seuls Pierre Monteux, André Cluytens, Bruno Maderna et Pierre Boulez, résolurent. Klaus Mäkelä et les Parisiens leur emboîtent le pas : on voit les danseurs, on saisit l’érotisme, on perçoit la nuit, timbres gorgés des bois, cordes arachnéennes, jusqu’au tambour de basque remis dans la perspective de ces mystères sonores, c’est-à-dire pas en avant : l’ultime balle venu de nulle part, il la figurera légère. Merveille, qui se prolonge dans un Prélude à l’après-midi d’un faune, dont le faune alangui par la lumière zénithale tisse ici des songes sensuelles au long d’une flûte irréelle.

Formidable Pétrouchka, lui aussi rendu au ballet, même si la pointe pourrait en être plus sèche, mais ces couleurs, cette narration, ce sens du grotesque saisissent l’esprit de la pantomime sans en oublier les décors. Piano luxueusement tenu par Bertrand Chamayou. Les trois opus de Stravinski pour Diaghilev bouclés, Klaus Mäkelä tentera-t-il les épures d’Orphée, Apollon musagète ou Agon ?

LE DISQUE DU JOUR

Igor Stravinski (1882-1971)
Pétrouchka, K12 (version 1947)
Claude Debussy (1862-1918)
Jeux, CD 133
Prélude à l’après-midi
d’un faune, CD 87a

Orchestre de Paris
Klaus Mäkelä, direction

Un album du label Decca 4870146
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Photo à la une : le chef d’orchestre Klaus Mäkelä –
Photo : © Kaupo Kikkas