Rendre les arcanes expressifs du violon à la flûte ? Anna Besson ose ce défi et triomphe dans trois Sonates de Corelli où son souffle, son modelé, sa poésie, ne font pas regretter l’archet.

Ce sera le tour de force d’un album qui, célébrant l’omniprésence de Corelli en France après que Couperin l’y eut intronisé en majesté, révèle un compositeur : Jean-Baptiste Quentin. Reinhard Goebel et ses comparses de Cologne avaient jadis gravé une Sonate à quatre qui m’avait surpris par son espressivo élégant. Jean Rondeau et ses deux amies en révèlent d’autres, choisies dans les Deuxième et Troisième des quatre Livres pour violon (son instrument) et basse. Quentin le Jeune déborde d’invention mélodique, et aussi talentueuse que soit la flûtiste, j’aimerais tant entendre ces Sonates dans le respect de l’instrumentation d’origine. Ce qui pour Corelli, malgré les transpositions vers l’aigu, me charmait, me semble réduire le spectre des émotions, aussi assumé que soit le discours. Il y aurait là une manne pour Théotime Langlois de Swarte et Justin Taylor, y penseront-ils ?

Quoi qu’il en soit, l’album permet de prendre la mesure d’un compositeur inspiré. Ecoutez seulement le Poco andante de la Quatrième Sonate, on croirait une mélodie du Caro Sassone. Haendel, justement, est l’arbre qui cache cette selve londonienne de la première moitié du XVIIIe siècle. Cela est vrai au théâtre, à l’église, mais aussi dans les œuvres pour les concerts privés, ou ceux, ouverts au public des jardins, durant la saison d’été.

L’album concocté avec tant d’à-propos par Florence Bolton et son alerte petite bande puise dans le vivier des musiciens réunis par Haendel pour son orchestre, manière de souligner à quel point l’Italie avait envahi Londres ; à la génération précédente, Nicola Matteis avait opéré une révolution que Sammartini, Castrucci et tant d’autres poursuivirent, acclimatant les perfections corelliennes aux élégies et aux festivités de la Tamise.

Aussi magnifique que soit le Concerto de Sammartini où brille la flûte de Sébastien Marq, aussi poétique que résonne la Sonate pour viole de gambe de Castrucci sous l’archet diseur de Florence Bolton, le plus étonnant du disque regarde tout à fait ailleurs.

James Oswald fait entrer dans les salons de l’aristocratie le charme mélancolique, la verdeur pastorale des songs écossais, savoureux voyage aux pays des lochs qu’illustre une belle Sonate et quelques hornpipes auquel répondra, en guise de postlude, celle composée par Haendel pour le brillant consort réuni à Vauxhall.

LE DISQUE DU JOUR

Jean-Baptiste Quentin, dit Le Jeune (ca.1690-ca.1742)
Sonate pour violon et basse continue (VI) en mi mineur,
Op. 3 No. 6 (du IIIe Livre de Sonates à violon seul et basse continue)
Sonate pour violon et basse continue (X) en mi mineur,
Op. 2 No. 10 (du IIe Livre de Sonates à violon seul et basse continue ; extrait : I. Largo)
Sonate pour violon et basse continue (II) en fa dièse mineur, Op. 2 No. 2 (du IIe Livre de Sonates à violon seul et basse continue ; extrait : I. Andante)
Sonate à violon ou flûte seule avec basse continue (IV) en la majeur,
Op. 14 No. 4 (des « Sonates à violon seul [ou flûte] et basse continue)
Sonate pour violon et basse continue (X) en ré mineur, Op. 3 No. 10
(du IIIe Livre de Sonates à violon seul et basse continue ; extrait : I. Largo)
Sonate pour violon et basse continue (IV) en la majeur, Op. 3 No. 4
(du IIIe Livre de Sonates à violon seul et basse continue)
Arcangelo Corelli (1653-1713)
Sonate pour violon et basse continue en fa majeur, Op. 5 No. 4
Sonate pour violon et basse continue en ut majeur, Op. 5 No. 3
Sonate pour violon et basse continue en sol mineur, Op. 5 No. 5

Anna Besson, flûte traversière
Myriam Rignol, viole de gambe
Jean Rondeau, clavecin
Un album du label Alpha Classics 1022
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London ca. 1740
Haendel’s Musicians

Carl Friedrich Weideman (1700-1782)
Concerto pour flûte (allemande) en mi mineur,
Op. 2 No. 6 (No. 6, extrait des « 6 Concertos in 7 Parts, Op. 2 »)
Georg Friedrich Haendel (1685-1759)
Sonate en trio No. 5 en sol mineur, Op. 2 No. 5, HWV 390
Hornpipe en ré majeur, HWV 356
Giuseppe Sammartini (1695-1750)
Concerto a piu Istromenti per la Fluta en fa majeur, GSM 1711
Pietro Castrucci (1679-1752)
Sonate pour viole de gambe et basse continue en sol mineur
James Oswald (1710-1769)
The Caledonian Pocket Companion (4 extraits : Vol. X. No. 19, Sleepy Maggy ; Vol. XI. No. 3, The Cameronian’s Rant ; Vol. XI. No. 4, Hugar Mu Fean ;
Vol. XII. No. 36, Up in the Morning Early)
A Sonata of Scots Tunes (No. 34, extrait de « A Curious Collection of Scots Tunes »)

La Rêveuse
Florence Bolton & Benjamin Perrot, direction
Un album du label harmonia mundi HMM 902613
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Photo à la une : Florence Bolton et Benjamin Perrot –
Photo : © 2018 David Girard