Le livret d’abord : sur le Télémaque de Fénelon, l’Abbé Pellegrin brossa un poème de théâtre d’une qualité extrême, cherchant à renouveler le genre sans pourtant trahir l’esprit de Quinault. C’était donné doublement raison à Louis XIV qui voyait en Destouches le successeur de Lully.
L’amour de Télémaque, le fils d’Ulysse que Neptune poursuit de sa colère, pour Eucharis (en fait Antiope, la fille d’Idoménée), offre l’occasion d’un portrait en creux d’une intensité rare, celui de Calypso, séduite par Télémaque malgré lui.
La magicienne trouve une incarnation saisissante dans le soprano de grand caractère d’Isabelle Druet que gagnent acte après acte amertume et fureur. Elle n’est pas le seul attrait de cette résurrection trop attendue qu’entachent à peine quelques coupures absentes du concert princeps donné à Ambronay.
Emmanuelle de Negri donne à Eucharis cette ligne sensible mais tenue, ce chant noble dans la douleur qu’arde des accents sacrificiels. Antonin Rondepierre incarne Télémaque avec une élégance très Grand siècle, son ténor juvénile donne l’exact portrait du fils d’Ulysse. David Witzack sera saisissant pour les interventions d’Adraste, les comprimari brillent (avec une mention particulière pour Marine Lafdal-Franc, quelle présence, ! qui contrebalance le charme pur d’Hasnaa Bennani).
Les Ombres font entendre tout le génie de Destouches, son sensible et son tragique, son brillant et ses abîmes, dévoilant un opéra majeur dont je m’explique pas qu’il ait pu être oublié jusqu’à ce jour. Quelle sera la prochaine révélation Destouches selon Margaux Blanchard et Sylvain Sartre ? Omphale ? Puisse le Centre de musique de baroque de Versailles les y aider comme pour ce précieux Télémaque et Calypso.
LE DISQUE DU JOUR
André-Cardinal Destouches (1672-1749)
Télémaque et Calypso
(1714)
Isabelle Druet,
mezzo-soprano (Calypso)
Antonin Rondepierre,
ténor (Télémaque)
Emmanuelle de Negri,
soprano (Antiope/Eucharis)
David Witczak, baryton (Adraste)
Hasnaa Bennani, soprano (L’Amour, Cléone, Une Prêtresse de Neptune,
Une Nymphe, Une Matelotte)
Adrien Fournaison, baryton-basse (Apollon, Idas)
Marine Lafdal-Franc, soprano (Minerve, La Grande Prêtresse de l’Amour)
David Tricou, ténor (Arcas, Un des arts, Un plaisir)
Colin Isoir, ténor (Le Grand Prêtre de Neptune)
Chantres du Centre de Musique Baroque (Fabien Armengaud)
Les Ombres
Sylvain Sartre, direction &
Margaux Blanchard, direction artistique
Un petit livre-disque de 2 CD du label Château de Versailles Spectacles CVS128
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Photo à la une : les fondateurs et directeurs musicaux de l’ensemble Les Ombres, Margaux Blanchard et Sylvain Sartre – Photo : © Jean-Baptiste Millot