Rien n’est plus dissemblable dans l’œuvre de Brahms que les deux Concertos qu’il écrivit pour son instrument, et à vrai dire pour lui-même. Il en sera le créateur, mais, de l’un à l’autre, est-ce le même artiste ?
Le jeune homme qui déchaîne les tempêtes et les méditations philosophiques du Concerto en ré mineur, Michael Korstick le fait entendre à plein, filant sans oublier de chanter dans l’apaisement de la tempête que vient de régler Constantin Trinks. Les trilles fuseront de ce clavier clair et plein, rappelant l’orage soudain. Effet saisissant, je n’en attendais pas moins d’un pianiste aux moyens considérables, mais comment ne pas être saisi par l’altitude spirituelle qu’il déploie dans le grand chant intériorisé de l’Adagio. Ensemble, le chef et le pianiste font entendre l’hommage à Beethoven qui sous-tend la grande ligne respirée si large ici. Qui faisait ainsi, et savait autant ? Rudolf Serkin. Le Rondo filera, plein d’épices, enfin vraiment « all’ungarese », fête de plein air d’un élan spectaculaire.
Et le Deuxième ? Son caractère élégiaque, son ton de ballade lyrique, jusque à ses tempêtes, si soulignées ici, cherchent à faire oublier qu’il est, pour les doigts, l’un des plus éprouvants concertos du répertoire, en fait une immense pièce pour piano en quatre mouvements avec orchestre obligé.
Il faut y mettre une rectitude, un élan jusque dans la contemplation, un mouvement, sans quoi il perdra sa poésie, le tenir pour mieux le faire chanter. Michael Korstick ne traînera pas, resserrant les paysages, ardant les orages (y rappelant parfois ceux du Premier dans l’Allegro ma non troppo) et déployant ce clavier immense même dans la confidence, quasiment un deuxième orchestre. Il saura y mettre les rudesses beethovéniennes et la hauteur de vue qu’y osaient Hans Richter-Haaser, Serkin encore dont il approche la sonorité minérale.
Magnifique doublé où l’orchestre est intimement marié au projet du pianiste, et qui me rembourse de quelques déceptions occasionnées par la discographie récente. Et maintenant, Michael Korstick, l’œuvre pour piano seul ? Brahms attend.
LE DISQUE DU JOUR
Johannes Brahms (1833-1897)
Concerto pour piano et
orchestre No. 1 en ré mineur,
Op. 15
Concerto pour piano et
orchestre No. 2 en si bémol majeur, Op. 83
Michael Korstick, piano
Deutsches Symphonie-Orchester Berlin
Constantin Trinks, direction
Un album du label hänssler Classic HC23082
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Photo à la une : le pianiste Michael Korstick – Photo : © WDR