Mariss Jansons fut élevé en « Chostakovskie », son père Arvīds en fut un interprète majeur dont la proximité avec Evgeni Mravinski ne parvint pas à influencer sa vision de l’auteur du Nez. Face et quasi contre l’abime de Mravinski il opposa des lectures lyriques, où l’ombre de Mahler semblait omniprésente, dont le sourire n’était pas forcément banni, faisant entendre derrière les partitions « de parade » (5e, 7e, 10e) le journal intime. Il dressait un miroir entre symphonies et quatuors, mise en regard que Mravinski ignora.
L’ambivalence, alliée à une direction aiguisée qui s’entendra quelques soient les phalanges – le Chostakovitch de Mariss Jansons est « sec » – est le secret de cette intégrale construite sur dix-huit années et avec huit orchestres. Posée à cheval sur la césure des siècles, elle apportait un regard savamment distancié, où le lyrisme et l’ironie, deux vertus mahlériennes, s’équilibraient.
Surtout, elle faisait entendre, après les gestes apologiques de Kirill Kondrachine et de Bernard Haitink, une lecture qui délivrait le double code du cycle : la vêture pour la galerie, l’émotion des immenses lignes mélodiques pour la part secrète. Et pour les œuvres de pure protestation, voire de dénonciation – les mises en abime des 4e et 8e, les commentaires tragiques ou ironiques des 13e et 14e – des lectures au cordeau versant autant d’effroi que d’acide.
Le partage entre les orchestres a semé quelques doutes, surtout auprès de ceux qui veulent leur Chostakovitch en une entité sonore. Mais Mariss Jansons avait résolu la quadrature de ce cercle : ce qu’individuellement les phalanges apportent cède devant l’inflexion absolue à une syntaxe de la direction qui plie la nature même de chacun à l’identité de l’univers Chostakovitch.
En plus des symphonies, les Concertos s’ajouteront (hélas pas ceux pour violon), des Suites époustouflantes, une version saisissante (avec Robert Lloyd, qui sera un grand Boris Godounov) des Chants et danses de la mort dans l’orchestre réinventé par Chostakovitch.
Par où commencer ? Par le disque avec Oslo, les 6 et 9 où Chostakovitch balance entre le sinistre et le persifflage, album qui posait les canons stylistiques de cet ensemble imparable, Oslo qui sera l’orchestre même du premier album Chostakovitch d’un certain Klaus Mäkelä.
LE DISQUE DU JOUR
Dmitri Chostakovitch
(1906-1975)
CD 1
Symphonie No. 1 en fa mineur, Op. 10
Concerto pour piano, trumpette et cordes en ut mineur, Op. 35
Mikhail Rudy, piano – Ole Edvard Antonsen, trumpette – Berliner Philharmoniker (1995)
CD 2
Symphonie No. 2 Op. 14 « Octobre »
Symphonie No. 12 Op. 112 « L’Année 1917 »
Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks – Chor des Bayerischen Rundfunks – Andreas Röhn, violon – Stefan Schilling, clarinette – Marco Postinghel, basson (2005)
CD 3
Symphonie No. 3, Op. 20 « 1er mai »*
Symphonie No. 14, Op. 135
Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks – *Chor des Bayerischen Rundfunks – Larissa Gogolevskaja, soprano – Sergei Aleksashkin, basse (2006)
CD 4
Symphonie No. 4 en ut mineur, Op. 43
Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks (2004)
CD 5
Symphonie No. 5 en ré mineur, Op. 47
Symphonie de chambre, Op. 110a (orchestration du Quatuor à cordes No. 8 : Rudolf Barshai)
Wiener Philharmoniker (1997)
CD 6
Symphonie No. 6 en si mineur, Op. 54
Symphonie No. 9 en mi bémol majeur, Op. 70
Oslo Philharmonic Orchestra (1991)
CD 7
Symphonie No. 7 en ut majeur, Op. 60 « Leningrad »
Leningrad Philharmonic Orchestra (1988)
CD 8
Symphonie No. 8 en ut mineur, Op. 65
Pittsburgh Symphony Orchestra (2001)
CD 9
Symphonie No. 10 en mi mineur, Op. 93
Modeste Moussorgski (1839-1881)
Chants et Danses de la mort (orchestration : Chostakovitch)
Robert Lloyd, basse – The Philadelphia Orchestra (1994)
CD 10
Symphonie No. 11 en sol mineur, Op. 103 « L’Année 1905 »
Suite pour orchestre de jazz No. 1
Suite pour orchestre de variété No. 1 (extrait : No. 7. Waltz II)
Tahiti Trot, Op. 16 [Tea for Two]
The Philadelphia Orchestra (1996)
CD 11
Symphonie No. 13 en si bémol mineur, Op. 113 « Babi Yar »
Symphonieorchester des Bayerischen Rundfunks – Chor des Bayerischen Rundfunks – Sergei Aleksashkin, basse (2005)
CD 12
Symphonie No. 15 en la majeur, Op. 141
Concerto pour piano et orchestre No. 2 en fa majeur, Op. 102
Suite « Le Taon », Op. 97a (2 extraits : No. 8. Romance ; No. 3. Fête populaire)
Mikhail Rudy, piano – London Philharmonic Orchestra (1997)
CD 13
Concerto pour violoncelle et orchestre No. 1 en mi bémol majeur, Op. 107
Concerto pour violoncelle et orchestre No. 2, Op. 126
Truls Mørk, violoncelle – London Philharmonic Orchestra (1995)
Mariss Jansons, direction
Un coffret de 13 CD du label Warner Classics 5054197957178
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Photo à la une : le jeune Mariss Jansons – Photo : © DR