Doublé tragique

Au cœur de la Grande Guerre, Alexander von Zemlinsky choisit non pas l’épique mais l’intime, un huis clos déduit de la pièce aux infinies ambiguïtés d’Oscar Wilde, confrontant un trio amoureux à la conclusion détonante : une fois son amant occis par son époux, Bianca enlace Simone dans un élan érotique où l’assassinat de Guido Bardi n’est pas anodin.

Ce meurtre comme puissance sexuelle tisse entre l’amant et l’époux un lien trouble que Wilde s’est bien gardé de souligner, contrairement à Zemlinsky : son opéra en un acte est d’abord celui de deux hommes, ce que font entendre avec leurs chants saillants John Lundgren et Nikolai Schukoff.

Ne barguignons pas, puisque paraissent aujourd’hui deux nouvelles versions de ce chef-d’œuvre (que le disque aura illustré à ce jour sept fois), la gravure de Marc Albrecht l’emporte par la puissance dramatique, la tension accumulée qui éclate dans un meurtre saisissant, le chef n’hésitant pas à souligner les liaisons dangereuses que Zemlinsky entretint à cette occasion avec le vérisme.

Ce que la scène transcende chez Marc Albrecht (et aussi chez la Bianca d’Aušrine Stundyte) manque à la lecture admirable d’exactitude, de fluidité menée grand train par Patrick Hahn : pas un détail de la spectaculaire machine orchestrale mise en place par Zemlinsky n’échappe, mais manquent les poisons, le délétère, l’étrange emplissant de maléfices le geste de Marc Albrecht qui rappelle celui d’Armin Jordan.

Lecture réductrice ? Je n’irai pas jusque là, elle pâlit simplement face au drame implacable montré par sa rivale, mais la Bianca de Rachel Wilson, admirablement chantée, le Simone très Golaud de Christopher Maltman, même le Guido Bardi plus lyrique qu’à l’habitude de Benjamin Bruns (auquel un beau clairon ne manque pourtant pas) valent d’être entendus, et puisque Patrick Hahn ajoute en postlude la version de concert de l’Ouverture, ne boudons pas l’autre volet de ce diptyque.

LE DISQUE DU JOUR

Alexander von Zemlinsky (1871-1942)
Eine florentinische Tragödie, Op. 16

Nikolai Schukoff, ténor
(Guido Bardi, prince de Florence)
John Lundgren, baryton
(Simone, un marchand)
Aušrine Stundyte, soprano
(Bianca, sa femme)

Netherlands Philharmonic Orchestra
Marc Albrecht, direction
Un album du label Pentatone PTC5186739
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Alexander von Zemlinsky (1871-1942)
Eine florentinische Tragödie, Op. 16

Benjamin Bruns, ténor
(Guido Bardi, prince de Florence)
Christopher Maltman, baryton (Simone, un marchand)
Rachel Wilson, soprano
(Bianca, sa femme)

Münchner Rundfunkorchester
Patrick Hahn, direction
Un album du label BR-Klassik 900347
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Photo à la une : le ténor Nikolai Schukoff –
Photo : © ARSIS Artist Management