Enfers éternels

Le destin vocal de l’Orfeo de Gluck aura fini par échapper à sa voix originelle, ténor, mezzo-soprano ou contralto ont effacé la tessiture du créateur et son nom même. Le temps des contre-ténors venus, ni Deller si loin de cette vocalité, ni même Russell Oberlin ne tentèrent de renouveler les exploits de Gaetano Guadagni, il aura fallu attendre la génération suivante, René Jacobs, Michael Chance, tous deux renvoyés aux oubliettes pour cause de maniérismes par l’incarnation stupéfiante de Jochen Kowalski.

Trente-cinq ans plus tard, Jakub Józef Orliński emprunte la voix initiée par son aîné. Un modèle ? Pour la vocalité, l’élan, certainement, mais lorsque Kowalski enflammait les vocalises, pensant à Guadagni, Orliński tend la ligne de chant, la déborde d’affects. Un chanteur ?, un personnage qui porte dans la nature même de sa voix une douleur qui blesse son timbre. La composition est faramineuse, et culmine dans l’acte des enfers, kaléidoscope d’émotions saisi dans la moire, la pompe que Stefan Plewniak et son Giardino d’Amore déploient : ce Léthé ne s’oubliera plus.

Comprimari parfaits, tendre Euridice d’Elsa Dreisig, Amore impertinent et prévenant à la fois selon Fatma Said, mais allez, encore une fois ce « Che puro ciel » délétère, amer, à nul autre pareil.

LE DISQUE DU JOUR

Christoph Willibald Gluck (1714-1787)
Orfeo ed Euridice, Wq. 30
(version italienne ; Vienne, 1762)

Jakub Józef Orliński, contre-ténor (Orfeo)
Elsa Dreisig,
soprano (Euridice)
Fatma Said, soprano (Amore)

Il Giardino d’Amore
Stefan Plewniak, direction

Un album du label Erato 5054197897535
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Photo à la une : le contre-ténor Jakub Józef Orliński –
Photo : © Honorata Karapuda