Dans les archives de l’INA dormait un témoignage relativement fragilisé de la Totentanz de Liszt. Cziffra y dispensait un vaste clavier entre méditation et fureur, Roberto Benzi, avec une pointe de génie, lui faisait un cortège très sombre.
J’avais entendu la bande à la phonothèque de l’INA, dans une des petites cellules d’écoute de la tour centrale voici bien trente ans et en avais gardé un souvenir indélébile. La voici sauvée de l’oubli grâce à Yvette et François Carbou qui ont insisté pour qu’elle figure dans cette prodigieuse anthologie capturant György Cziffra à son apogée. Christophe Hénault a su la débarrasser des scories, et c’est l’un des moments les plus troublants – vraie séance de magie noire – de l’art de ce pianiste hors pair.
Virtuose Cziffra ? Sa maîtrise du clavier était légendaire, la puissance ailée de son jeu sidérante, mais rien jamais pour la galerie, rien pour l’épate, le feu intérieur qui animait cet art fulgurant n’était que musique : écoutez les emportements de ce stupéfiant Concerto de Grieg (remarquablement accompagné par Georges Tzipine), la tenue électrisante du Premier Concerto de Tchaikovski, le lyrisme romantique qui transforme le Premier Concerto de Liszt en poème épique.
Admirable, évidemment, mais en quelque sorte attendu. Pas cette 22e Sonate de Beethoven, si logique et si narrative, pas cette « Chasse » de Scarlatti prodigieuse de ligne, d’évocation. Merveille, la Fantaisie de Chopin, avec son entrée murmurée, rappelle qu’il fut un de ses interprètes majeurs, d’une folle élégance.
Et comment résister aux arcs-en-ciel amoroso de la 10e Etude transcendante que Cziffra annonce « de François Liszt » au ravissement du public, à cette fabuleuse Valse-Impromptu, fantasque, ailée ; la pédale s’ôte, le clavier s’envole, tout un monde disparu, parfums compris, envahit l’espace, pure magie d’un admirable musicien.
LE DISQUE DU JOUR
György Cziffra
Live in Concert,
1960-1962
CD 1
Edvard Grieg (1843-1907)
Concerto pour piano et orchestre en la mineur, Op. 16
Piotr Ilyitch Tchaïkovski (1840-1893)
Concerto pour piano et orchestre No. 1 en si bémol majeur, Op. 23
CD 2
Franz Liszt (1811-1886)
Concerto pour piano et orchestre No. 1 en mi bémol majeur, S. 124
Waltz-Impromptu en la bémol majeur, S. 213
Totentanz, S. 126 (version orchestrale)
Domenico Scarlatti (1685-1757)
Sonate pour clavier en ré majeur, K. 96, L. 465
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Sonate pour piano No. 22 en fa majeur, Op. 54
Frédéric Chopin (1810-1849)
Fantaisie en fa mineur, Op. 49
Robert Schumann (1810-1856)
Toccata en ut majeur, Op. 7
György Cziffra, piano
Orchestre Philharmonique de la R.T.F.
Georges Tzipine, direction
Orchestre National de la R.T.F.
Roberto Benzi, direction
Paul Kletzki, direction
Un album de 2 CD du label Solstice FY SOCD411/12, assorti d’une belle iconographie, de souvenirs des éditeurs et d’un splendide texte signé Alain Lompech
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Photo à la une : le pianiste György Cziffra – Photo : © DR