Wozzeck retrouvé

Sir Adrian Boult, parangon de la modernité ? Il n’ignora pas les Modernes, pas même les Viennois ; sa culture encyclopédique, férue des Modernes, le poussera côté opéra, vers Doktor Faust de Busoni, vers Wozzeck dont il dirigera la première britannique, exigeant d’emblée, en germaniste consommé, que la langue originale en soit respectée. Entendant la retransmission de la création londonienne en 1934, Berg écrivit à Boult en louant la clarté de sa direction qui lui laissait espérer qu’à l’avenir Wozzeck entrerait au répertoire régulier des maisons d’opéra.

Las !, pour Londres, Wozzeck en resta là, avant que Boult n’impose à la BBC une nouvelle interprétation, prenant soin qu’elle fut cette fois-ci enregistrée et surtout conservée.

Dans l’acoustique parfaite du Royal Albert Hall, le 16 mars 1949, les micros furent en effet au rendez-vous, mais selon une tradition détestable, la BBC finira par effacer les bandes en les réemployant. Heureusement Lord Harewood enclencha son Ampex, préservant une soirée historique, autant pour la direction au scalpel de Boult, que par le cast.

Heinrich Nillius évite tout histrionisme pour un Wozzeck aussi touchant que terrifiant, le Tambour-major de Walter Widdop plastronne avec avantage (et sans fausset), le Docteur d’Otakar Kraus est simplement historique à force de sadisme tranquille, l’Andres de Frans Vroons chante d’abord, évidemment la captation préserve d’abord la Marie de Suzanne Danco, bouleversante. En musicienne consommée, elle transfigure la partition à force d’exactitude et saisit l’âme même de Marie. Déchirant, comme la scène finale avec les enfants que Boult aura fait précéder de l’immense crescendo d’orchestre où l’ombre de Gustav Mahler n’aura jamais été aussi omniprésente.

L’éditeur ajoute une lecture, prudente, du Capriccio de Stravinsky où musarde avec humour et poésie un parfait Noel Mewton-Wood, et cette Quatrième Symphonie de Ralph Vaughan Williams que Sir Adrian Boult créa et qu’il reprenait ce 21 juillet 1965 avec un orchestre que l’on entendait rarement sous sa baguette dans le répertoire symphonique, celui du Royal Opera House, une curiosité.

LE DISQUE DU JOUR

Alban Berg (1885-1935)
Wozzeck, Op. 7
Heinrich Nillius, baryton (Wozzeck) – Suzanne Danco, soprano (Marie) – Parry Jones, ténor (Le Capitaine) – Frans Vroons, ténor (Andres) – Otakar Kraus, baryton (Le docteur) – Margaret Godley, soprano (L’enfant de Marie) – Mary Jarred, mezzo-soprano (Margret) – Walter Widdop, ténor (Le Tambour-major) – John Kentish, ténor (L’idiot, Le soldat) – Gordon Clinton, baryton (Le premier apprenti) – Fabian Smith, baryton (Le second apprenti) – BBC Symphony ChorusBBC Symphony Orchestra

Igor Stravinski (1882-1971)
Capriccio pour piano et orchestre
Noel Mewton-Wood, piano – BBC Symphony Orchestra

Ralph Vaughan Williams (1872-1958)
Symphonie No. 4 en fa mineur
Orchestra of the Royal Opera House, Covent Garden

Sir Adrian Boult, direction

Un album de 2 CD du label SOMM Recordings 5024-2 (Collection « Ariadne »)
Acheter l’album sur le site du label SOMM Recordings ou sur Amazon.fr ― Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com

Photo à la une : le chef d’orchestre Sir Adrian Boult – Photo : © National Portrait Gallery, London