Jeunesse

Sa victoire à Leeds en 1966, malgré quelques controverses, lui avait valu l’oreille attentive de Suvi Raj Grubb et un contrat prometteur avec HMV qui cessa après une poignée de microsillons (dont j’espère toujours la réédition au complet dans un beau petit coffret chez Warner). Le jeune homme n’avait pu enregistrer son répertoire concertant, Rachmaninoff, Tchaïkovski, Chopin, Philips allait rendre la chose possible au cours des années soixante-dix, capturant sa sonorité profuse avec l’art qui avait manqué aux ingénieurs d’His Master’s Voice.

Des concertos donc, le Second de Chopin (avec l’Andante spianato et Grande Polonaise) modèle d’élégance et de raffinement, le Premier de Tchaïkovski joué à une certaine hauteur, tous ceux de Rachmaninoff et la Rhapsodie avec pour partenaire idéal Edo de Waart avec son orchestre de Rotterdam et, luxe supplémentaire, côté Rachmaninoff, le Royal Philharmonic.

Les albums Rachmaninoff apportèrent un éclairage nouveau, Orozco s’y livrant à des raffinements, une poésie romantique, qui allaient à rebours du geste drastique posé par le compositeur. Ce ton singulier ne s’est pas estompé, l’oreille est toujours surprise par cette relecture lyrique, qui culmine dans les Premier et Troisième Concertos, emplis de pas de côté, si libre jusque dans le jeu concerté avec un orchestre qui semble se fondre dans les volontés du pianiste. Magique !, jusque dans un 4e Concerto comme pris à rebours de sa modernité affichée, et tout comme le microsillon consacré à un concert de pièces solistes, dominées par trois Etudes-tableaux, véritables poèmes.

Que la sonorité d’Orozco était belle sous les micros des ingénieurs de Philips, piano sans marteau, clavier profond et ailé, ampleur des harmonies exaltée par un arc-en-ciel. L’art de timbrer saisit au long des Scherzos de Chopin qui osent le raptus, lecture au noir fascinante par sa tension qui ne dépare jamais la pure beauté d’un Steinway admirable de profondeur. La Berceuse en sera magnifiée, le clavier chantant avec un naturel désarmant tout comme le Nocturne en mi majeur qu’on croirait chanté par un baryton. La Deuxième Sonate sera de la même eau, et au revers quelle Sonate de Liszt !, éperdue et pourtant tenue, où Orozco abandonne cette maîtrise qui parfois bridait son élan au studio : le disque Schumann en fait un peu les frais, Kreisleriana surtout, manquantes de caractère, d’élan mais la Fantaisie laisse rayonner son impeccable architecture et enfin le pianiste traverse le miroir dans un Langsam comme venu d’un autre monde.

LE DISQUE DU JOUR

Rafael Orozco
The Philips Legacy

CD 1 (1975)
Frédéric Chopin (1810-1849)
Concerto pour piano et
orchestre No. 2 en fa mineur,
Op. 21

Andante spianato et Grande Polonaise brillante en mi b majeur,
Op. 22

Rotterdam Philharmonic OrchestraEdo de Waart, direction

CD 2 (1975)
Frédéric Chopin (1810-1849)
Scherzo No. 1 en si mineur, Op. 20
Scherzo No. 2 en si bémol mineur, Op. 31
Scherzo No. 3 en ut dièse mineur, Op. 39
Scherzo No. 4 en mi majeur, Op. 54
Nocturne (No. 18) en mi majeur, Op. 62 No. 2
Berceuse en ré bémol majeur, Op. 57

CD 3 (1972)
Frédéric Chopin (1810-1849)
Sonate pour piano No. 2 en si bémol mineur, Op. 35
Franz Liszt (1811-1886)
Sonate pour piano en si mineur, S. 178

CD 4 (1976)
Robert Schumann (1810-1856)
Kreisleriana, Op. 16
Fantasie en ut majeur, Op. 17

CD 5 (1973)
Sergei Rachmaninoff (1873-1943)
5 Morceaux de fantaisie (3 extraits : No. 2. Prélude en ut dièse mineur ;
No. 3. Mélodie en mi majeur ; No. 4. Polichinelle en fa dièse mineur)

Prélude en si mineur, Op. 32 No. 10
Prélude en sol mineur, Op. 23 No. 5
Etudes-tableaux, Op. 33 (3 extraits : No. 3 en ut mineur ; No. 5 en ré mineur ;
No. 6 en mi bémol mineur)

Moment musical en si mineur, Op. 16 No. 3
Fritz Kreisler (1875-1962)
Liebesleid (No. 2, extrait des « Alt-Wiener Tanzweisen » – version pour piano seul : Rachmaninoff, 1923)

CD 6 (1973)
Sergei Rachmaninoff (1873-1943)
Concerto pour piano et orchestre No. 1 en fa dièse mineur, Op. 1
Concerto pour piano et orchestre No. 4 en sol mineur, Op. 40
Royal Philharmonic OrchestraEdo de Waart, direction

CD 7 (1975*, 1973)
Piotr Ilitch Tchaikovski (1840-1893)
*Concerto pour piano et orchestre No. 1 en si bémol mineur, Op. 23
Sergei Rachmaninoff (1873-1943)
Concerto pour piano et orchestre No. 2 en ut mineur, Op. 18
*Rotterdam Philharmonic OrchestraRoyal Philharmonic Orchestra
Edo de Waart, direction

CD 8 (1973)
Sergei Rachmaninoff (1873-1943)
Concerto pour piano et orchestre No. 3 en ré mineur, Op. 30
Rhapsodie sur un thème de Paganini, Op. 43
Royal Philharmonic OrchestraEdo de Waart, direction

Rafael Orozco, piano

Un coffret de 8 CD du label Decca 4843734 (Collection Eloquence Australia)
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Photo à la une : le pianiste Rafael Orozco, à Cordoue – Photo : © DR