L’orage éclata aux saluts qui concluaient la mémorable première de la nouvelle production de Don Carlo proposée par l’Opéra de Vienne en 1970. Lorsqu’Horst Stein parut, une bronca s’éleva, médusant le chef. Rien contre son art, il dirige avec une sombre grandeur digne de l’Escorial ce Don Carlo demeuré historique, mais tout contre sa personne. Les nostalgiques de Karajan, qui venait de quitter le théâtre, l’incriminaient comme responsable de ce départ, alors même que Karajan l’avait invité, et quasi investi.
Lorsque je pus échanger pour l’unique fois avec Horst Stein à Bâle, en 1989 (Heinrich Sutermeister avait arrangé la rencontre), j’eus l’indélicatesse d’évoquer ce Don Carlo. Son œil ne cilla pas, et son seul commentaire fut « Janowitz était formidable ». J’imagine qu’il avait eu le temps de méditer les mots qui ouvrent le dernier air – une quasi stance morale – d’Elisabetta.
Oui Gundula Janowitz est magnifique, et transcendante dans « Tu che la vanita », même face au souvenir laissé aux Viennois venus en 1958 à Salzbourg, par Sena Jurinac (pour Janowitz chez Verdi, Amelia Grimaldi suivra), mais tout le cast est sans faille.
Le chant stylé d’Eberhard Wächter triomphe du tempo très retenu que lui impose Horst Stein, amoureux de son souffle infini, de cet aigu qui semble sortir d’une gangue de bronze, Posa idéal au physique, on s’en doute, mais aussi de timbre. Certains ne diront « pas assez italien » et certes il n’est pas Ettore Bastianini, mais les mots, l’amertume et la bonté des mots, jusque dans la mort, n’auront existé à ce point que chez le jeune Dietrich Fischer-Dieskau pour Ferenc Fricsay, et pas dans la même langue !
Fabuleuse Shirley Verrett évidemment, virtuose pour le voile avec l’aigu si aisé, mais terrible dans l’amertume furieuse pour « O don fatale », terrorisant jusqu’à l’asphyxie le duel vocal entre l’Inquisiteur de Martti Talvela et le Filippo de Nicolai Ghiaurov que la critique désigna comme l’acmé de la soirée.
Il y en eut d’autres, et d’abord, tout du long, le Don Carlo de Franco Corelli, tenu dans un style dont il ne fut pas toujours coutumier (moins souvent qu’on le prétend cependant), par la baguette aussi attentive qu’exigeante d’Horst Stein. Laissez-les ouvrir pour vous les portes de cet Escorial empoisonné.
Historique, et enfin rendu d’après les bandes originales : le gain est considérable face aux éditions précédentes.
LE DISQUE DU JOUR
Giuseppe Verdi
(1813-1901)
Don Carlo
Nicolai Ghiaurov, basse
(Filippo II, re di Spagna)
Franco Corelli, ténor
(Don Carlo, infante di Spagna)
Eberhard Wächter, baryton-basse (Rodrigo, marchese
di Posa)
Martti Talvela, basse (Il Grande Inquisitore)
Tugomir Franc, basse (Un frate)
Gundula Janowitz, soprano (Elisabetta di Valois)
Shirley Verrett, soprano (La Principessa d’Eboli)
Edita Gruberová, soprano (Tebaldo, paggio d’Elisabetta)
Ewald Aichberger, ténor (Il Conte di Lerma)
Judith Blegen, soprano (La voce dal cielo)
Chor, Bühnenorchester und Orchester der Wiener Staatsoper
Horst Stein, direction
Un album de 3 CD du label Orfeo C230163
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Photo à la une : le chef d’orchestre Horst Stein,
à la tête des Bamberger Symphoniker – Photo : © DR