L’enregistrement électrique sitôt apparu, Leopold Stokowski n’eut de cesse d’y faire entrer l’effectif pléthorique des Gurre-Lieder. Il passa son temps à régler autant la balance de l’orchestre que celle du studio d’enregistrement durant toute l’ère monophonique, son art trouvant enfin dans la stéréophonie de quoi répondre à l’augmentation de son espressivo naturel.
À la fin des années cinquante, Everest lui proposa de graver ce qu’il souhaitait, mettant au service de son art sa console à six canaux et son enregistrement sur film magnétique de 35 mn. On ne sait s’il fut approché à la même époque par Robert Fine et Wilma Cozart Fine, mais s’il le fut ce fut en vain : leurs micros minimalistes auront risqué de paraître un mince argument à ce sorcier du son.
Mais avec quel orchestre enregistrer ? À Houston, Stokowski avait rompu la phalange texane à sa syntaxe. Leur Concerto pour orchestre de Bartók, chaque pupître saisi par les ingénieurs d’Everest, est resté impérissable d’abord par l’art du chef qui fait autant dire que chanter, et par un orchestre qui attaque sans relâche. Le Finale est dévastateur, et partout la langue de l’ultime Bartók retrouve la raucité de ses œuvres de jeunesse. Une partition américaine ? Le chef se gausse de cette assertion facile qui voudrait faire accroire le génie du compositeur esseulé par l’hémopathie, il le fait magyar autant que sous la baguette de Fritz Reiner, des piments en plus. Commencez à fouiller ce coffret par cet indispensable. Et puis plongez-vous dans le Mugam azerbaïdjanais de Fikret Amirov, façon de passer de l’historique à l’illustratif en restant sous la puissance des mêmes pouvoirs de magie noire.
Les surprises ne manqueront pas, côté Everest, mais aussi chez Vanguard, le troisième éditeur américain qui capturera du rare (l’America de Bloch ; des âges de Virgil Thomson, Thomas Canning, des baroqueries revisitées, surtout une Histoire du soldat qui reste le meilleur enregistrement discographique d’une œuvre que le disque a parfois trahi à force d’effets ajoutés (la version Markevitch), alors qu’il faut d’abord que le chef s’y plie aux comédiens : Madeleine Milhaud savoure la langue de Ramuz, Martial Singher fait un Diable très Méphisto et le Soldat de Jean-Pierre Aumont n’aura pour seul concurrent que le plus vaudois François Simon (Ansermet pour l’OSR, bande éditée par Claves).
Evidemment, le coffret n’oublie pas les stokowskieries, ses habillages touchent justes plus chez Debussy que chez Wagner, affaire de goût, mais il faut d’abord écouter cette Troisième Symphonie de Brahms avec Houston – personne ne l’aura dessiné d’une façon aussi affirmative tout comme une Cinquième Symphonie de Chostakovitch transcendée à force de fureur avec le Stadium Symphony Orchestra – et côté Vanguard cette Quatrième Symphonie de Tchaikovski réinterprétée de bout en bout. Et puis prendre le temps de savourer la « Gran » Partita, preuve que Stokowski était partout chez lui, incapable de rater quoi que ce fut, même chez Mozart, compositeur dont, au disque comme au concert, il fut trop chiche.
LE DISQUE DU JOUR
Leopold Stokowski
Complete Everest &
Vanguard Recordings
CD 1
Johannes Brahms (1833-1897)
Symphonie No. 3 en fa majeur, Op. 90
Richard Wagner (1813-1883)
Die Walküre, WWV 86B – Wotans Abschied, Feuerzauber* (versions orchestrales élaborées par Leopold Stokowski)
Parsifal, WWV 111 – synthèse symphonique élaborée par Leopold Stokowski)
Houston Symphony Orchestra (Everest, 1959, *1960)
CD 2
Richard Wagner (1813-1883)
Parsifal, WWV 111 – Karfreitagszauber (version de concert élaborée par le compositeur)
Houston Symphony Orchestra (Everest, 1959)
Piotr Ilitch Tchaikovski (1840-1893)
Francesca da Rimini, Op. 32, TH 46
Hamlet, Op. 67, TH 53
Richard Strauss (1864-1949)
Salome, Op. 54, TrV 215 – Danse des sept voiles
Don Juan, Op. 20, TrV 156
Stadium Symphony Orchestra of New York (Everest, 1959)
CD 3
Richard Strauss (1864-1949)
Till Eulenspiegels lustige Streiche, Op. 28, TrV 171
Sergei Prokofiev (1891-1953)
Cinderella, Op. 87 (6 extraits)
Le vilain petit canard, Op. 18* (version orchestrale)
Pierre et le loup, Op. 67**
*Regina Resnik, soprano – **Bob Keeshan, récitant – Stadium Symphony Orchestra of New York (Everest, 1959, *1961)
CD 4
Béla Bartók (1881-1945)
Concerto pour orchestre, Sz. 116, BB 123
Houston Symphony Orchestra (Everest, 1961)
Dmitri Chostakovitch (1906-1975)
Symphonie No. 5 en ré mineur, Op. 47
Stadium Symphony Orchestra of New York (Everest, 1958)
CD 5
Alexandre Scriabine (1872-1915)
Le poème de l’extase, Op. 54
Fikret Amirov (1922-1984)
Azerbaijan Mugam
Frédéric Chopin* (1810-1849)
Mazurka en la mineur, Op. 17 No. 4
Prélude en ré mineur, Op. 28 No. 24
Valse en ut dièse mineur, Op. 64 No. 2 (versions pour orchestre : Stokowski)
Houston Symphony Orchestra (Everest, 1959, *1960)
Claude Debussy* (1862-1918)
Children’s Corner, CD 119 (3 extraits : II. Jumbo’s Lullaby ; V. The Little Shepherd ; VI. Golliwog’s Cake-Walk ; versions pour orchestre : Stokowski)
Heitor Villa-Lobos (1887-1959)
Uirapurú, W133
Bachianas Brasileiras No. 1, W246 (extrait : II. Prelúdio. Modinha)
Stadium Symphony Orchestra of New York (Everest, 1958, *1961)
CD 6
Thomas Canning (1911-1989)
Fantasy on a Hymn Tune by Justin Morgan
Houston Symphony Orchestra (Everest)
Ernest Bloch (1880-1959)
America. An Epic Rhapsody*
Virgil Thomson (1896-1989)
The Plow that Broke the Plains
*American Concert Choir – Symphony of the Air (Vanguard, 1960)
CD 7
Virgil Thomson (1896-1989)
Suite from « The River »
Symphony of the Air (Vanguard, 1960)
Alexandre Scriabine (1872-1915)
Etude en ut dièse mineur, Op. 2 No. 1 (version pour orchestre : Stokowski)
Piotr Ilyitch Tchaikovski (1840-1893)
Symphonie No. 4 en fa mineur, Op. 36, TH 27
American Symphony Orchestra (Vanguard, 1970)
CD 8
Igor Stravinski (1882-1971)
L’Histoire du soldat, K029 (version française)
Madeleine Milhaud, récitante – Jean-Pierre Aumont (Le soldat) – Martial Singher (Le diable) – Gerald Tarack, violon – Charles Russo, clarinette – Theodore Weis, trommpette – Julius Levine, contre-basse – Loren Glickman, basson – John Swallow, trombone – Raymond Desroches, percussion (Vanguard, 1967)
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Oratorio de Noël, BWV 248, Part II – Sinfonia (version pour grand orchestre : Peter Schickele)
Cantate, BWV 147 (extrait : No. 10. Chorale « Jesus bleibet meine Freude » ; version pour grand orchestre : Peter Schickele)
Cantate, BWV 208 (extrait : No. 9. Schafe können sicher weiden ; version pour grand orchestre : Stokowski)
Igor Kipnis, clavecin – The Stokowski Orchestra (Vanguard, 1967)
CD 9
Antonio Vivaldi (1678-1741)
Concerto pour 2 violons, cordes et basse continue en ré mineur, Op. 3 No. 11, RV 565
Arcangelo Corelli (1653-1713)
Concerto grosso en sol mineur, Op. 6 No. 8 « Fatto per la Notte di Natale »
Igor Kipnis, clavecin – The Stokowski Orchestra (Vanguard, 1967)
Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Sérénade No. 10 en si bémol major, K. 361 « Gran Partita »
The Wind Players of American Symphony Orchestra (Vanguard, 1966)
CD 10. Legendary Stokowski from other labels
Oeuvres de Bach, Moussorgski, Dukas, Debussy, R. Strauss, Vaughan Williams, Persichetti, Barber et Sibelius
Julius Baker, flûte – Robert Bloom, cor anglais ([1]-[3] (1947-1950), [4]-[14] 1962)
Un coffret de 10 CD du label Alto CD ALC3146
Acheter l’album sur le site du label Alto CD, sur le site www.clicmusique.com ou sur Amazon.fr
Photo à la une : le chef d’orchestre Leopold Stokowski – Photo : © DR