Boréal

La somme pourra paraître disparate, Virgin ayant accompagné Paavo Järvi dans ses aventures européennes de Stockholm à Paris en passant par Birmingham, Francfort et Tallinn, elle ne l’est qu’en apparence : sur les quasi trente ans que couvre cette discographie, un style s’est affirmé, et l’espace d’un répertoire augmenté.

Les années Stockholm auront ouvert la danse, pochettes affichant son profil d’aigle, répertoire boréal (où il se faisait un prénom alors que son père Neeme était dans sa folie discographique sibéliennne pour BIS et Deutsche Grammophon), Sibelius justement, très sombre comme toujours le joua la phalange suédoise, Légendes et Luonnotar (avec Solveig Kringelborn, visionnaire comme le fut Schwarzkopf dans une bande de la Radio finlandaise) d’une eau si profonde, Kullervo plus amer qu’épique, avec un couple adultérin vraiment maudit, Randi Stene et Peter Matei, mais aussi une rareté, La Jeune fille dans la tour ; d’autres suivront, un plein album de Cantates, mais à Tallinn où le chœur était idéal pour Sibelius, mais aussi pour Chostakovitch : simplement une véritable alternative à la version historique que Kirill Kondrachine aura laissée de L’exécution de Stepan Razine, Alexei Tanovitski n’ayant pas à rougir, aussi éloquent que Vitaly Gromadsky.

À Tallinn, même s’il ne faut pas négliger un Peer Gynt de vrai théâtre, les gravures seront en grande part dévolues à Arvo Pärt, Eduard Tubin et Erkki-Sven Tüür, ce dernier étant devenu un compagnon de route (écoutez sa Quatrième Symphonie « Magna »), autant d’albums témoins de l’attachement de Paavo Järvi à un certain univers sonore dont Sibelius fut l’alpha : le prouve l’album Pärt, dont la vraie perle est la Deuxième Symphonie, ouvert par Pro et contra avec Truls Mørk qu’il dirigera aussi à Paris, et le Philhar’ : un disque majeur additionnant le Concerto de Schumann, Kol Nidrei de Bruch et Schelomo.

Ce n’est pas la moindre qualité de cette baguette, savoir accompagner, ce qui ne suppose pas de s’effacer : le Concerto de Dvořák pour le jeune Gautier Capuçon, la Symphonie espagnole pour son frère Renaud, surtout le Concerto de Britten à Birmingham pour Leif Ove Andsnes le prouvent, d’ailleurs Sir Simon Rattle le savait assez qui avait nommé son cadet premier chef invité de la phalange des Midlands. Un album Bernstein éclaire d’un angle nouveau l’art d’un chef que je croyais à des années lumières de West Side Story. Quel bonheur parfois de se tromper, et de se rassurer vite : il est toujours chez lui à l’Est, comme l’illustre un doublé ProkofievMiaskovski pour Truls Mørk.

Les années Francfort convainquent moins : un Requiem allemand dépareillé par des solistes décidément exotiques (mais quel chœur), l’amorce d’un cycle Mahler qui ne m’a jamais convaincu (et qui sera parachevé en DVD), de parfaits accompagnements pour les Concertos de Brahms selon Nicholas Angelich, celles de Paris le documentent entre les forces de Radio France et son magister à la tête de l’Orchestre de Paris : un joli disque Bizet, un Requiem de Fauré très peu église de la Madeleine avec Matthias Goerne mérite d’être écouté attentivement, et deux albums Rachmaninov spectaculaires qui doivent s’incliner devant le disque Dutilleux, Métaboles torpides, Sur un même accord avec Christian Tetzlaff, surtout la Première Symphonie où il retrouve l’urgence de la captation pionnière d’Ernest Ansermet.

L’éditeur ajoute un disque de prises de concerts avec l’Orchestre de Paris, Apprenti sorcier implacable, Symphonie de Franck altière, Troisième Symphonie de Roussel trop maîtrisée, les Trois Danses de Maurice Duruflé, qu’il avait eu l’audace de redonner au concert où elles avaient disparu depuis des lustres, auraient fait une meilleure pioche.

Mon disque favori dans ce beau coffret ? L’album Stenhammar, écoutez la Deuxième Symphonie, la Reverenza de la Sérénade (que n’a-t-il gravé les autres mouvements !), les deux Mélodies avec Anne Sofie von Otter. Un seul des héros de Paavo Järvi fait défaut ici : Bruckner. Courrez aux trois dernières Symphonies qu’il vient d’enregistrer avec la Tonhalle de Zürich pour Alpha Classics.

LE DISQUE DU JOUR

Paavo Järvi
The Complete Erato Recordings

Œuvres de Arvo Pärt, Jean Sibelius, Erkki-Sven Tüür, Leonard Bernstein, Johannes Brahms, Sergei Rachmaninov, Gustav Mahler, Dmitri Chostakovitch, Ernest Bloch, Alexandre Borodine, Benjamin Britten, Georges Bizet, Max Bruch, Paul Dukas, Henri Dutilleux, Antonín Dvořák, Gabriel Fauré, César Franck, Sergei Prokofiev, Albert Roussel, Pablo de Sarasate, Robert Schumann, Wilhelm Stenhammar, Alexandre Glazunov, Mikhail Glinka, Edvard Grieg, Victor Herbert, Aram Khachaturian, Edouard Lalo, Nikolai Miaskovsk, Piotr Ilitch Tchaikovski, Eduard Tubin, Anatoli Liadov, etc.

Solveig Kringelborn
Randi Stene, soprano
Camilla Tilling, soprano
Natalie Dessay, soprano
Barbara Hendricks, soprano
Anne Sofie von Otter, mezzo-soprano
Philippe Jaroussky, contre-ténor
Lars-Erik Jonsson, ténor
Peter Mattei, baryton
Alexei Tanovitski, basse

Truls Mørk, violoncelle
Gautier Capuçon, violoncelle
Renaud Capuçon, violon
Christian Tetzlaff, violon

Sabine Meyer, clarinette
Håkan Hardenberger, trompette

Wayne Marshall, piano
Leif Ove Andsnes, piano
Nicholas Angelich, piano
Frank Braley, piano

Royal Stockholm Philharmonic Orchestra
City of Birmingham Symphony Orchestra
Estonian National Symphony Orchestra
Orchestre Philharmonique de Radio France
Orchestre du Théâtre Mariinski
Radio-Sinfonie-Orchester Frankfurt
Orchestre de Paris

Paavo Järvi, direction

Un coffret de 31 CD du label Erato 5054197955037
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Photo à la une : le chef d’orchestre Paavo Järvi – Photo : © Kaupo Kikkas