Les deux côtés du miroir

Tellement jazzy les Bostoniens, bois et cuivres façon Gershwin, pourtant sans exotisme. Dans la capitale du Massachusetts on jouait français depuis quelques lustres, cela s’entend encore ; pour Seong-Jin Cho, que je sais réservé, c’est une licence supplémentaire à se déboutonner : cet arc-en-ciel si voluptueusement déployé par Andris Nelsons, que j’avais tort de craindre peu accordé à l’univers Ravel, lui inspire une liberté volubile, et des attaques de fauve. Son piano déborde d’irisations, le rêve central de l’Allegramente en est saturé, merveille qui rappelle Martha Argerich dont les abandons millimétrés vont certainement plus loin, mais enfin…

Adagio assai très singulier, parlé, on aimera ou pas, puis un Presto où sur le piano qui file les souffleurs de Boston persifflent comme les chats du jardin de L’Enfant et les sortilèges, c’est assez irrésistible, et sauve des lectures « en casquette » : ce moto perpetuo devient vertigineux, fausse toccata, fausse course à l’abîme qui semble en un éclair donner la main à son frère sombre, écrit en regard, on l’oublie trop.

Dans le songe amer des Bostoniens (ce contre-basson !), Seong-Jin Cho sera passé de l’autre côté du miroir, Concerto pour la main gauche tragique : il en assemble les épisodes épars dans une grande ligne si noire dont même les cadences, admirablement composées, n’auront pas une étoile.

L’éclatant divertissement central où se télescopent des marches d’apocalypse et des souvenirs de l’univers d’avant (Laideronnette et Boléro y compris), gagnés par une suractivité inquiète, retrouveront quelques accents de jazz, seul rappel du solaire Concerto en sol majeur, ailleurs régnera la nuit méphitique où Scarbo rode encore. Prise de son superlative.

LE DISQUE DU JOUR

Maurice Ravel
(1875-1937)
Concerto pour piano et orchestre
en sol majeur,
M. 83

Concerto pour piano main gauche et orchestre en
ré majeur, M. 82

Seong-Jin Cho, piano
Boston Symphony Orchestra
Andris Nelsons, direction

Un album du label Deutsche Grammophon 4866820
Acheter l’album sur le site du label Deutsche Grammophon ou sur Amazon.fr
Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com

Photo à la une : le pianiste Seong-Jin Cho –
Photo : © Christoph Köstlin/Deutsche Grammophon