Le temps était venu pour les Ysaÿe d’enregistrer ce qui fut l’œuvre de leur vie, et à quoi tout grand Quatuor tend : oser le continent Beethoven.
Au printemps 2008, l’Auditorium du Musée d’Orsay les accueillait pour six concerts dont la programmation de chacun d’entre eux commençait par un des quatuors de l’Opus 18, l’espace temporel se creusant à mesure avec les ultimes Quatuors fermant chaque programme.
La prise de son fabuleuse par son réalisme et son équilibre, signée pour Radio France par Judith Carpentier-Dupont, capture l’équilibre radieux des quatre archets, la plénitude de leur sonorité, les subtiles interactions des pupitres, et à mesure que l’on progresse dans le voyage, cette élévation spirituelle qui s’incarne dans la nature même d’un son comme transfiguré.
Chaque concert, par l’ambitus chronologique qu’il imposait, produisait comme un vertige, je m’en souviens, la remise dans l’ordre des opus proposée par l’édition discographique, et donc allant sur le même disque d’un concert l’autre, empêche de retrouver absolument les plaisirs physiques et l’exaltation spirituelle qui à chaque fois saisissaient l’auditeur, mais il suffit de suivre les programmes de chaque concert, indiqués en fin d’un livret qu’il faut lire – Miguel da Silva raconte le voyage – pour recréer l’expérience.
La puissance du geste, mais d’abord sa poésie qui va au cœur de la pensée même de Beethoven, le lyrisme versatile des Opus 18, l’éloquence sans appui des Quatuors médians, les audaces des « Razumovsky », ce trésor qu’est le sublime Quatuor « Les Harpes », joué comme du Schubert déjà, voie à laquelle Beethoven renoncera, l’autre monde des ultimes Quatuors, tout cela porté par tant de lyrisme, par cette touche où l’émotion se conjugue à l’éloquence, n’a eu côté quatuor français que quelques prédécesseurs – les Capet, les Calvet dans le peu qu’ils auront gravé de leur Beethoven pour le 78 tours, auront été assez loin mais vraiment, de timbre, de propos restent si différents, comme les rares intégralistes, les Pascal hier, les Ebène aujourd’hui.
Non, s’il faut rapprocher la triple perfection – de sens, d’émotion, de réalisation – des Ysaÿe, et aussi pour le pur bonheur sonore, on ne pourra penser qu’au Quatuor Alban Berg, Miguel da Silva et ses amis se sont portés sur les mêmes sommets.
Historique.
LE DISQUE DU JOUR
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
CD 1
Quatuor à cordes No. 3 en ré majeur, Op. 18 No. 3
Quatuor à cordes No. 1 en fa majeur, Op. 18 No. 1
Quatuor à cordes No. 2 en sol majeur, Op. 18 No. 2
CD 2
Quatuor à cordes No. 5 en la majeur, Op. 18 No. 5
Quatuor à cordes No. 6 en si bémol majeur, Op. 18 No. 6
Quatuor à cordes No. 4 en ut mineur, Op. 18 No. 4
CD 3
Quatuor à cordes No. 7 en fa majeur, Op. 59 No. 1 « Razumovsky I »
Quatuor à cordes No. 8 en mi mineur, Op. 59 No. 2 « Razumovsky II »
CD 4
Quatuor à cordes No. 9 en ut majeur, Op. 59 No. 3 « Razumovsky III »
Quatuor à cordes No. 10 en mi bémol majeur, Op. 74 « Les Harpes »
CD 5
Quatuor à cordes No. 11 en fa mineur, Op. 95 « Serioso »
Quatuor à cordes No. 12 en mi bémol majeur, Op. 127
Große Fuge en si bémol majeur, Op. 133
CD 6
Quatuor à cordes No. 13 en si bémol majeur, Op. 130
Quatuor à cordes No. 14 en ut dièse mineur, Op. 131
CD 7
Quatuor à cordes No. 15 en la mineur, Op. 132
Quatuor à cordes No. 16 en fa majeur, Op. 135
Quatuor Ysaÿe
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Photo à la une : les membres du Quatuor Ysaÿe, en 2005 –
Photo : © Gérard Rondeau