Trop malheureuse Iphigénie

Desmarest abandonna son Iphigénie dans sa fuite vers les Pays-Bas espagnols, mais Campra, assorti de la plume d’Edouard Danchet, commandités par l’Académie Royale de musique, y mirent leurs plumes pour parachever l’œuvre.

Cette Iphigénie bicéphale (quadricéphale si l’on ajoute les poètes) verra le jour sur la scène de l’Académie le 6 mai 1704. Succès modeste, comme pour confirmer le destin de cette trop malheureuse Iphigénie, dont la seule fortune reste la conservation d’un manuscrit où ne manquent que les parties d’alto, aisées à remplir, ce qui aura achevé de provoquer l’intérêt d’Hervé Niquet. Lui, si versé dans les réécritures des ouvrages de Lully, trouvait ici un cas d’école où deux compositeurs contemporains se suppléaient.

Ce que Campra apporte, d’aménagements et de créations propres, n’est au fond que peu sensible, le style si saisissant de Desmarest commande même son suiveur, on y gagne une pièce maîtresse qui quatre-vingt-dix ans avant la proposition de Gluck restaure un jalon aussi important qu’il fut négligé, malgré une reprise plus heureuse en 1711.

Bravo à l’ardeur emportée, au sens dramatique dont se saisit Le Concert Spirituel, emportant une distribution que domine de très haut l’incarnation de pure tragédienne portée par Véronique Gens.

Est-ce trop écrire qu’elle éloigne de son empyrée les autres, sinon l’Oreste de Thomas Dolié, stupéfiant de présence face au Pylade consolateur de Reinoud van Mechelen ? On ne leur enlèvera pas le style, surveillé et surtout expressif, à commencer par l’Électre d’Olivia Doray, amoureuse attachante contre la présentation habituelle du personnage, d’autant qu’une prise de son les resserrant tous dans une boîte de conserve ne les annule pas, mais semble faire perdurer une part de ce mauvais sort qui accompagna l’Iphigénie du grand Desmarets.

LE DISQUE DU JOUR

Henry Desmarest
(1661-1741)
&
André Campra
(1660-1744)
Iphigénie en Tauride

Véronique Gens, soprano (Iphigénie)
Reinoud van Mechelen,
ténor (Pylade)
Thomas Dolié, baryton (Oreste)
David Witczak, baryton (Thoas)
Olivia Doray, soprano (Électre)
Floriane Hasler, mezzo-soprano (Diane)
Tomislav Lavoie, baryton-basse (L’Ordonnateur, L’Océan)
Antonin Rondepierrre, ténor (Un habitant de Délos, Triton,
Le grand Sacrificateur)

Jehanne Amzal, soprano (Isménide, Première habitante de Delos,
Première Nymphe, Première prêtresse)

Marine Lafdal-Franc, mezzo-soprano (Seconde habitante de Delos,
Seconde Nymphe, Seconde prêtresse)

Le Concert Spirituel
Hervé Niquet, direction

Un album de 2 CD du label Alpha Classics 1106
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Photo à la une : le chef Hervé Niquet et la soprano Véronique Gens – Photo : © Cyprien Tollet/Théâtre des Champs-Elysées